Les émotions sont surprenantes, voire elles découragent la démarche de les comprendre. Il est difficile de déterminer leur cause ou leur origine exacte, ainsi que le canal, de l’esprit ou du corps, selon lequel elles vont se manifester. On peut dire qu’elles sont imprévisibles.
On peut les nommer sur le plan universel, et supposer des causes générales, par exemple, la tristesse après une perte, la joie après un succès. Mais si on ne connaît pas les circonstances, on ne peut pas comprendre leur origine dans des situations spécifiques. Les causes possibles pour chaque émotion sont multiples, et impossibles à deviner si on ne connaît pas le contexte. Tout au plus, on peut prétendre à des conjectures, elles sont abstraites.
Il n’existe pas de règles communes pour dire qu’une émotion donnée découlera toujours d’une cause précise dans un contexte spécifique, mais on peut le faire pour une personne particulière, en la côtoyant régulièrement, ou par des observations construites. Les émotions dépendent de l’expérience personnelle, de la culture, de la biologie et de la personnalité. Une même situation peut susciter des émotions très différentes selon les individus. Par exemple, une critique peut provoquer de la colère chez une personne et de la joie chez une autre. Leur relativité est d’ailleurs souvent un argument convoqué par le « Tu ne peux pas comprendre ». Néanmoins, dans les relations sociales, entre connaissances ou collègues, certaines précautions relationnelles restent courantes pour maintenir de bonnes relations. D’ailleurs, une méthode souvent conseillée consiste à communiquer sur des faits et l’expression des sentiments personnels de façon simple et directe. Il s’agit de la communication non violente qui vise à limiter les malentendus et à ouvrir des perspectives constructives. Cette approche fonctionne parce qu’elle mise sur la sobriété et la franchise, en évitant les détours. Elle devient contre-productive dès qu’elle se transforme en système rigide de précautions infinies.
Sur le plan physiologique ou mental, différentes personnes vont présenter des manifestations d’une même émotion de façons variées. La colère peut se manifester dans l’agressivité, ou le silence. Les émotions échappent aux tentatives de classification stricte tant leurs manifestations varient d’une personne à l’autre.
Cette complexité s’explique également par leur évolution constante. Les émotions changent rapidement – la peur devient colère, provoque des pensées anxieuses ou tord l’estomac selon les individus. Elles se modulent aussi sur le long terme : avec l’expérience et l’âge, elles perdent leur vigueur, se transforment ou disparaissent, remplacées par d’autres. Les émotions ne changent pas seulement avec le temps, mais aussi selon les circonstances. Une même émotion peut évoluer différemment selon qu’on se trouve seul, en public, au travail ou en famille. Le contexte social et situationnel modifie leur expression et leur trajectoire d’évolution.
Paradoxalement, si les émotions sont, par leur nature et leur étymologie, des mouvements tournés vers l’extérieur, elles restent souvent enfermées dans la sphère privée. Leur compréhension passe alors par un double effort : reconnaître leur dimension intime tout en favorisant leur partage dans des cadres relationnels. Leur apprentissage dépend du cadre familial et du désir des parents d’éduquer à la connaissance de soi, il est souvent intuitif et sporadique. Ce qui est intuitif tient de la perception et reste vague : cela génère des attitudes approximatives de compréhension, voire inconscientes, sans mettre de mots sur les mouvements sensibles. Ces codes implicites familiaux se transmettent par mimétisme sans qu’on puisse les questionner ou les adapter. De ce fait, les non-dits stigmatisent et refoulent l’expression. Ce qui sacralise les affects et les rend intouchables. L’enfouissement crée sa propre logique : plus on évite d’examiner ces émotions cachées, plus on perd l’habitude de le faire, et plus l’exercice paraît délicat ou risqué. Mais visiblement, une sociabilisation régulière et une explicitation fréquente semblent lever ces barrières, en permettant l’expression et la verbalisation. Résultat : on grandit en sachant qu’on « ressent des choses » sans savoir les nommer, les comprendre, ni en parler.
Ainsi, les émotions, dans leur complexité et leur transformation constante, demandent une certaine finesse pour être identifiées dans l’instant, et une pratique régulière pour en approfondir la compréhension. Cette démarche s’inscrit à la fois sur les plans individuel et collectif : pour l’individu et son entourage immédiat, elle favorise une meilleure compréhension mutuelle, tandis qu’à l’échelle sociale et politique, elle aide à éclairer les motivations, les enjeux et les conséquences des décisions ou des événements