La pratique philosophique fait partie de l’activité générale de la philosophie. Comme cette dernière, elle questionne des thèmes pratiques, tels que la technique, ainsi que des thèmes abstraits, comme l’idée de la liberté, et produit des réponses. Des idées et des raisonnements s’articulent autour de concepts clés qui se déterminent au fil des discussions et des exercices. Par exemple, dans la discipline scolaire de la philosophie, les élèves doivent appliquer le principe majeur de la dialectique dans la rédaction de dissertations : poser une thèse, proposer une antithèse, et finir sur leur synthèse. Le tout est encadré par une introduction et une conclusion. La philosophie est une discipline théorique, elle pense sur la connaissance humaine. Elle s’attache à explorer et à questionner les fondements de notre compréhension du monde, s’engageant dans des réflexions sur des questions existentielles ou métaphysiques qui ne sont pas directement mesurables ou observables. Elle touche divers domaines tels que l’être, l’existence, la morale, la religion, la société, la science, l’économie, le langage, etc.
Et certaines théories développées au cours des siècles sont devenues des références. Ainsi, la méthode cartésienne du doute méthodique décompose un problème afin d’en faciliter la résolution ; le concept de mauvaise foi existentialiste signifie qu’on croit ou s’identifie à l’image qu’on se forge ou à son rôle social, et on abdique ainsi sa liberté ; l’impératif catégorique kantien est une formulation de la morale basée sur le principe de l’universalité, qui implique d’adopter une loi morale applicable à tous. Ces principes, bien qu’ils soient très intéressants à pratiquer au quotidien et faciliteraient grandement la vie, ne sont pas réellement intégrés dans les enseignements.
Généralement, nous traduisons « philosophia » par « amour de la sagesse », ce qui nous pousse à prendre le temps de réfléchir sur des questions générales, ou par « désir de savoir », une curiosité constante. Le sens du terme implique une attitude face à l’existence et à la réalité, ainsi qu’un rapport à soi. Nous pouvons retrouver cette dimension dans l’expression « prendre les choses avec philosophie » qui signifie prendre du recul, regarder les choses dans leur ensemble, leur accorder une raison d’être. Elle peut être considérée comme une démarche fondée sur un esprit scientifique qui expérimente des idées et des raisonnements pour établir ou modifier des jugements, selon un principe d’essai-erreur. De plus, « sophia » en grec signifie la maîtrise d’un art, d’une discipline ou de soi-même, ce qui implique une dimension pratique. Dans tous les cas, la philosophie apparaît comme une préparation, une réflexion, qui précède l’action ou fait un retour sur l’expérience individuelle, en exerçant la capacité de choix et de jugement.
La pratique philosophique repose sur plusieurs principes fondamentaux tels que la raison, l’analyse, la rigueur, l’objectivité, l’ouverture d’esprit, la créativité et l’éthique :
La pratique philosophique partage des thèmes communs avec la philosophie traditionnelle, mais se distingue par son approche et son application. Son rôle soulève des considérations importantes dans le domaine philosophique quant à sa nature spécifique et son impact.
Concentrons-nous sur le fonctionnement de la pratique philosophique tel que nous l’envisageons. C’est une méthodologie qui permet d’interroger notre rapport au monde et à autrui, que nous pouvons résumer par le concept d’expérience, et d’associer ce questionnement à notre capacité à décrire cette expérience pour en faire une connaissance de quelque nature qu’elle soit. C’est une pratique, donc elle implique une régularité, un entraînement et des principes fondateurs qui la distinguent de simples habitudes, et qui opèrent sur la conscience.
Cette approche n’est pas de la psychologie, aucune théorie psychologique n’est appliquée. Mais le côté pratique exige de comprendre la psychologie du philosophe praticien ou de son interlocuteur. Bien qu’elle invite à un travail sur la parole, elle ne se cantonne pas à la narration de soi, voire la bannit de son fonctionnement car le principe est plutôt d’apprendre à savoir ce que nous disons, comment nous le disons, et ce qui peut en être compris. Sans quoi, les choix d’arguments, de points de vue, les accords et désaccords n’auraient pas de sens et seraient arbitraires. De même, cela signifierait que le fonctionnement individuel n’aurait pas de réalité, ou de substance, qu’il serait fantomatique.
Et l’approche n’est pas philosophique dans le sens académique car il n’y a pas de référence fidèle ni à un philosophe en particulier ni à un mouvement philosophique connu. Mais il n’y a qu’un pas pour passer de fantomatique au fantasmatique. Ainsi, nous pouvons faire la transition vers le problème de la subjectivité qui peut être tentée, de manière assez diverse, de créer un monde fictif reposant sur des attentes et des craintes. Au contraire, la subjectivité qui doit être revendiquée et consciente, aide à la formation du sujet, le rend apte à comprendre et décider, par l’acte de penser. Néanmoins, dans ce rapport au monde apparaissent les émotions. Du premier pleur du bébé aux angoisses existentielles des différents âges clés de la vie, en passant par les joies, frustrations, espoirs et moments de bonheur inoubliables, les émotions parlent de nous, bien plus que nous parvenons à nous exprimer à travers elles.
Alors pourquoi l’activité philosophique contient-elle des éléments émotionnels et psychologiques ? Parce qu’elle va chercher ce qui peut se considérer comme notre inconscient. Celui-ci est composé d’éléments inhérents à notre rapport à nous-même et à la réalité extérieure, que nous ne voulons pas regarder et prendre en charge, qui nous déplaisent et nous paraissent difficiles à affronter. C’est une question d’affect qu’il est intéressant de clarifier afin de comprendre ce qui est important pour nous, en particulier ce qui nous pose problème. Ce faisant, penser ces éléments nous pose dans un rapport rationnel plutôt que sensible et établit la base de notre pensée, de notre raisonnement, de notre paradigme.
La « pratique philosophique » est un terme général qui résume diverses activités liées à la pensée et à la capacité d’articuler des idées et de se mettre en rapport avec les idées et les autres. La théorisation de notre méthodologie peut se décomposer en ces différentes catégories :
Même si nous distinguons les attitudes et les compétences, il est possible de les rassembler dans une même catégorie, celle des aptitudes. En effet, les premières sont peut-être des postures, psychologiques, mentales ou existentielles, elles facilitent pourtant le processus de la pensée. Sans ces dispositions, l’exercice est très difficile, voire impossible.
La pratique philosophique requiert la suspension du jugement. Il s’agit de mettre en pause les évaluations immédiates pour mieux comprendre les situations et les idées. Ce principe calme le fonctionnement de la pensée : il empêche l’immédiateté du jugement, laisse venir les choses à notre esprit et donne la possibilité de prendre en compte l’affect généré en nous. Nous utilisons indirectement une idée de Spinoza, qui nous propose que lorsque nous sommes en rapport avec une chose, nous en « pâtissons », elle nous dérange ou favorise notre capacité d’agir. Notre contact avec elle se fait par notre sensibilité. Ce dont nous « pâtissons » nous donne des informations à la fois sur la chose, sur nous-même, et sur notre rapport à elle. Ce serait plus intéressant de s’étonner dans ces moments-là, d’observer, d’écouter, plutôt que de recourir de façon automatique et immédiate à des opinions préconçues, à des idées « réflexes ». Prendre l’habitude de s’étonner ouvre l’esprit, rend capable de faire table rase provisoirement du connu et du potentiel de certitude, grâce au doute méthodique énoncé par Descartes, pour aboutir à un jugement fiable.
C’est prendre du recul par rapport à ses émotions et pensées pour les observer objectivement. Temporiser nos réactions revient à prendre de la distance avec nos habitudes de pensée. En effet, nous pouvons alors observer et comprendre les choses selon des références générales, ou selon leur signification élémentaire, de façon à éviter de s’enfermer dans des appréciations toutes personnelles. Bien entendu, nous ne pouvons pas totalement nous défaire de notre subjectivité, et ce n’est pas nécessaire. L’important est d’être capable de faire la distinction entre la nature objective des choses et notre point de vue. Qui plus est, le point de vue aide à faire des choix, nous ne pouvons agir qu’en prenant parti justement, dans des problématiques ou des situations particulières. Puis, ce n’est pas tout de s’étonner, de questionner la découverte, il reste à poser un jugement, dire ce que nous savons de la chose, engager notre esprit critique. Ce faisant, nous incarnons, partiellement ou provisoirement, un certain paradigme. Celui-ci est constitué à partir de notre psychologie, notre vécu, notre culture, etc.
Affronter directement les idées, c’est engager un corps-à-corps avec elles, les expérimenter ; c’est aussi les comparer entre elles, pour mieux les comprendre. C’est une fois que nous avons suspendu notre jugement, que nous nous donnons la possibilité – le loisir – de la confrontation d’idées. La confrontation ne veut pas uniquement dire l’affrontement, ou le conflit, mais aussi le rapprochement, la comparaison. Quoique, l’affrontement pourrait signifier « faire front », regarder de face, c’est le contraire de se détourner ou se cacher. Certaines idées vont être plus pertinentes que d’autres dans leur rapport au sujet de discussion choisi, ou à l’argument contredit. De ce fait, nous les comparons et les testons, pour pouvoir décider ce qui fait plus de sens. Il arrive que le praticien opte pour un processus réfutatif. Autrement dit, l’utilisation extensive de contre-arguments permet de démonter une thèse. Cela peut se produire lorsqu’un discours est rhétorique et superficiel. Le principe derrière cela est de retourner au sens premier des mots, à la source des idées, afin d’obtenir une parole quelque peu substantielle, et non pas séductrice et fallacieuse. A priori, la réfutation repose sur le principe de la joute argumentative, une sorte de compétition dont le gagnant est celui qui est le plus créatif et le plus convaincant. Or nous pouvons accorder la dimension réfutative au questionnement qui procède à la déconstruction d’une argumentation. Ce qui reste un exercice différent de la joute argumentative dans le sens où la démarche est épistémologique, c’est-à-dire quand elle vise à identifier la connaissance portée par la parole. Ceci implique par ailleurs un penser-ensemble. L’altérité étant difficile à produire dans notre propre pensée, il est souvent plus judicieux de recourir à une discussion de groupe, où chacun est prêt à travailler sur les idées des uns et des autres et à faire évoluer sa pensée dans un cadre dédié.
Elle pousse les idées à leurs limites pour pouvoir en saisir pleinement les implications. Pour beaucoup, il sera étrange de revendiquer une radicalité de la pensée, qui est souvent découragée. Nous éprouvons généralement le désir de concilier les opposés, d’être dans la norme, nous ne posons pas d’enjeux, nous évitons de choisir entre deux postures, car nous considérons que le monde n’est ni blanc ni noir.
Pourtant, cette radicalité accompagne le principe d’ignorance acquise. C’est partir du principe que nous ne connaissons pas la chose, nous ne la connaissons même pas à demi-mot, nous la découvrons totalement, dans son essence. Tout autant, nous pouvons être nous-même l’objet de l’examen, le principe reste le même, ainsi nous nous observons comme si nous étions extérieur à nous-même, étranger à nous-même. Naturellement, nous évitons de nous juger en produisant une image « entre deux », dans un fonctionnement complaisant. Tandis qu’en pratiquant la radicalité, nous découvrons des facettes de nous-même, de façon indépendante, crue, simple. Ce qui nous apporte une connaissance de soi libre et flexible, puisque nous identifions des aspects qui peuvent être soit proches, soit assez différents les uns des autres, qu’ils fassent état des cohérences ou des incohérences en nous. La radicalité permet de trancher le jugement, de l’avoir plus clair et indépendant de tout biais psychologique, social ou autre. En cela, nous nous observons avec rigueur, nous portons des jugements qui sont raisonnés et logiques. Il ne s’agit pas de conforter une thèse subjectiviste qui défend une certaine vision flatteuse ou, parfois, démoralisante. Le « je te l’avais dit » n’a pas de place dans l’exercice rigoureux de l’esprit radical.
Pratiquer la franchise et le courage de dire la vérité, même lorsque cela est difficile. Pour le coup, cette rigueur salutaire, bien que parfois un peu douloureuse, nous permet de développer notre authenticité. Une vérité sur nous-même, une vérité pour autrui. La parrhesia est un art difficile à pratiquer, celui du franc-parler, car il nécessite la disponibilité du sujet à tout événement ou à toute personne et du courage. Au diable le désir de plaire, de répondre aux règles de politesse, la parrhesia n’attend personne, et ne prend soin de personne. A ce titre, celui qui la pratique doit faire le deuil d’une quelconque sympathie. La vérité doit être dite parce que le sujet a besoin de l’entendre, a besoin de la voir formalisée. Et même, la vérité est visible et criante, elle n’attend plus qu’un vecteur pour se démasquer.
Il devient alors intéressant d’être disponible, non pas dans le sens de ne rien avoir à faire. Mais plutôt, d’avoir le sens de l’observation qui flotte parmi les éléments de l’environnement, tandis que la faculté de juger veille. Celui qui apprend à tirer, que ce soit dans le jeu de l’arc, du billard, ou tout sport avec des buts, comprend facilement cette vigilance dans le jeu. Il y a une mixité entre le jeu et le moment où un joueur peut enclencher l’action de marquer des points, un but ou un panier.
En l’occurrence, nous pratiquons ce que nous pourrions appeler de la prudence, ou plutôt une modération de ses capacités, nous les travaillons et nous les préparons pour le moment opportun. Celui-ci est appelé le kairos. Si nous reprenons la description faite du petit dieu, furtif et difficile à attraper, il faut se placer en guet-apens pour l’attraper par la petite mèche de cheveux qu’il a sur le sommet du crâne. Kairos n’est donc pas facile à saisir, mais cela reste possible, et pour cela, il faut se poser et se faire confiance, tout autant pressentir qu’il passera à portée de main.
Elles peuvent être vues comme des outils pour mieux penser. En cela, chacune va présenter un intérêt spécifique, une nature et des effets inhérents. Le principe est donc de savoir les reconnaître pour mieux comprendre différents mouvements dans la réflexion : par exemple, poser un jugement est distinct du fait de poser une question, la posture est dans l’affirmation face à celle de l’ignorance. Conceptualiser peut paraître le contraire d’argumenter, pourtant il est difficile d’argumenter sans être capable d’identifier l’idée qui va servir de justification. Ainsi, la frontière entre les catégories expliquées ci-après est parfois ténue. C’est pourquoi ces catégories sont plutôt d’ordre fonctionnel.
L’approfondissement est une démarche qui vise à aller plus loin dans la compréhension d’une idée. Elle peut prendre diverses formes, telles que la contemplation, l’explication, l’argumentation, l’analyse, la synthèse, l’exemplification ou encore l’interprétation.
La contemplation permet de s’absorber dans l’observation de quelque chose, en prenant le temps de réfléchir et de méditer sur ce qui est observé. L’explication vise à développer un propos afin de le rendre clair et compréhensible pour un auditoire. L’argumentation s’attache à justifier une proposition ou à prouver son contraire, en s’appuyant sur des preuves et des arguments solides.
L’analyse sert à décomposer un tout en ses parties, afin de mieux comprendre comment il est constitué. La synthèse revient à unifier des parties pour en constituer un tout, en mettant en relation ces parties et en cherchant à en tirer un sens global. L’exemplification consiste à fournir un exemple pour rendre une idée concrète et illustrer un propos.
Enfin, l’approfondissement peut aussi reposer sur l’identification de présupposés d’un discours, c’est-à-dire des éléments qui sous-tendent et sont plus ou moins explicites dans un propos. Il peut également équivaloir à l’interprétation d’un texte ou d’un propos, c’est-à-dire donner une signification à ces derniers dans le contexte du sens global et en extrayant les enjeux qui sont présentés dans ce texte ou ce discours. En somme, l’approfondissement est une démarche qui permet de mieux comprendre un sujet et de le décoder de manière plus fine et plus minutieuse.
Le concept est un terme utilisé pour désigner ou nommer une idée, une intention, ou une unité. Selon sa définition, un concept peut être philosophique (attribué spécifiquement à un philosophe ou à une idée universelle), général (lié à un type d’idées ou d’objets) ou singulier (terme commun synthétisant un propos).
Le concept a plusieurs fonctions, notamment celles de clarification et de simplification. En nommant les choses de manière simple et unitaire, il les distingue, permet de capturer l’essentiel et de réduire le discours à peu de mots, ce qui allège le processus de la compréhension. De plus, il peut être utilisé pour identifier la nature d’une idée ou pour trouver des similitudes entre deux idées. Il a un rôle analytique et synthétique. Le concept est un outil précieux qui aide à mieux penser et à communiquer de manière efficace en utilisant un vocabulaire précis et simplifié.
Le concept est une unité représentant une multitude ; il saisit une perfection en capturant à la fois la chose et la contingence qui lui est liée. Au contraire, la réalité n’est pas parfaite, on la décrit, l’exemplifie, on fait des analogies. On n’exprime d’elle que des problèmes, des limitations, des manques, des faiblesses, des incohérences. Le concept transmet sa perfection à la réalité en la représentant. Ainsi, particulièrement pour ceux qui recherchent la perfection, il devient préférable de parler de la réalité, de l’examiner et de la dire afin de lui constituer sa perfection à travers son concept. C’est une façon de se réconcilier avec l’imperfection et de moduler l’insatisfaction que celle-ci génère. Et quand il s’agit d’un concept plutôt négatif, il est intéressant d’examiner « à quel point » on le juge négatif, sous-entendu problématique, pour découvrir ce qui sous-tend ce jugement. En l’occurrence, les concepts qu’on juge négatifs sont souvent à connotation morale, particulièrement quand ils portent sur la personne. Par exemple, « égoïste » peut être redécrit par « soucieux de soi ». La redescription tente d’évincer le problème identifié pour en faire une qualité. On joue avec les concepts pour exorciser le problème et effacer le défaut. D’ailleurs, voici une liste de termes redécrits, elle pourrait servir de base à un exercice de conceptualisation dans lequel il faudrait rechercher le pivot autour duquel se fait la redescription. S’il y a un lien entre les deux termes, il y a donc une cohérence dans leur association.
Manipulateur – Persuasif
Arrogant – Assuré
Stupide – Inexpérimenté
Têtu – Déterminé
Impatient – Dynamique
Agressif – Assertif
Fainéant – Détendu
Paresseux – Économe en énergie
Menteur – Créatif
Sensible – Empathique
Possessif – Protecteur
Radical – Radical
Excessif – Passionné
Froid – Rationnel
Naïf – Confiant
Imprudent – Audacieux
Indécis – Réfléchi
Envieux – Ambitieux
Gourmand – Bon vivant
La problématisation convoque le doute. C’est un état d’esprit qui considère de façon incertaine une idée, une croyance ou une affirmation. C’est une méthode de réflexion qui consiste à s’interroger sur l’authenticité ou la validité de quelque chose. Selon la méthode cartésienne, le doute méthodique mène à l’affirmation « cogito ergo sum » (je pense donc je suis), qui peut être considérée comme certaine après que ses fondements ont été examinés et testés. Toutefois, lorsque le doute devient excessif, infini ou hyperbolique, il s’accompagne de confusion, d’hésitation, voire d’angoisse, par perte de fondation du système de pensée.
La problématisation peut être utilisée de deux manières : en formulant une objection, c’est-à-dire en présentant un argument qui contredit une idée précédemment exprimée, ou en posant une question directe qui met en jeu une idée contraire ou met le doigt sur une faiblesse, un manque, une incohérence. Nous pouvons également utiliser une série de questions, une méthode plus longue qui invite à analyser de manière approfondie et méthodique une idée ou une croyance. L’objectif de la problématisation est d’apporter un regard différent ou opposé sur cette idée, en la mettant en perspective avec un autre concept, le sens commun et/ou la logique.
La problématisation peut être un outil utile pour prendre conscience de nos opinions et de nos croyances habituelles, en les examinant sous un autre angle et en prenant du recul par rapport à elles. En posant des questions et en étudiant une idée ou une croyance de différents points de vue, nous pouvons nous sortir momentanément de nos schémas de pensée internes et prendre une distance salutaire par rapport à nous-mêmes, ou sortir de l’absolu. En regard de ce dernier point, la problématisation évite à la pensée d’être dogmatique, d’être dans la « révélation ». Pour problématiser une idée, il est possible de poser des questions comme « Faut-il toujours + concept clé de l’affirmation problématisée ? » ou bien « L’idée affirmée est-elle essentielle ou accidentelle ? », ou encore d’apporter une opposition.
Enfin, nous pouvons y lier le terme « problématique », qui est un enjeu important présentant un problème complexe à résoudre, une antinomie, un paradoxe. La problématique requiert de choisir un positionnement, afin d’examiner comment elle se résout concrètement.
Le questionnement est un processus qui permet d’examiner les idées en posant des questions. Il existe plusieurs fonctions de questionnement qui visent différents objectifs.
Les catégories de questions principales utilisées dans notre travail ont pour fonctions les suivantes : argumenter (produire un argument, défendre une idée ou un positionnement, prouver une affirmation) ; exemplifier (produire un exemple, citer un cas particulier, pour illustrer une idée ou vérifier comment une règle générale fonctionne) ; généraliser (examiner les implications du problème sur un plan général) ; conceptualiser (résumer en un mot l’idée clé, l’intention, l’essentiel, la substance d’un discours. C’est aussi le mouvement inverse, développer de façon analytique ce que contient un concept, le définir) ; identifier (- identifier un problème dans une question initiale, dans le fond, c’est-à-dire le contenu, les idées, ou dans la forme, dans la façon dont elle est dite, si elle est confuse, complexe, contradictoire, trop évidente, etc. – identifier la cause (connaître la cause d’un phénomène. – identifier la conséquence : discerner au moins une conséquence d’un phénomène. – identifier un ou des présupposés dans une question initiale ou une réponse, ce qui est à l’origine de la question ou de la réponse, ce qui la sous-tend, de façon implicite ou évidente. – identifier l’intention de la question, ce qu’elle veut faire ou éviter. – identifier et nommer une attitude, un paradigme, poser un jugement sur soi de façon générale ou particulière. Ce qui peut être assimilé à la conceptualisation.)
Voici diverses formes de questions, classées selon des catégories :
Quel problème soulevez-vous dans votre question initiale ? (identifier un problème de fond ou de forme dans la question initiale.)
Quelle est l’idée principale de votre réponse ? (identifier l’essentiel, ce qui permet dans certains cas aussi de clarifier quand le propos est ambigu.)
Le travail d’identification consiste à repérer l’idée pivot, la fondation d’une affirmation, à reconnaître l’intention d’un discours. Pour ce faire, la question est formulée en utilisant le sens commun, les idées courantes, la logique, la syntaxe, le vocabulaire, tout élément qui s’éclaire d’une tonalité particulière.
Par quoi peut-on faire suivre ces questions d’identification ?
Après l’identification, vient l’approfondissement du phénomène, dans la plupart des cas. Le quoi est suivi par le pourquoi ou le comment, les causes ou les conséquences. C’est l’occasion de passer du particulier au général (un cas vers une tendance), ou du général au particulier (une règle générale ou opinion commune vers un cas spécifique).
En quoi ce que vous dites éclaire la discussion ? (examiner la pertinence d’une idée)
Pourquoi faites-vous cela en général ? (explorer la motivation principale d’un acte)
C’est vous qui avez remarqué que vous aviez ce problème ou est-ce quelqu’un qui vous l’a dit ? (savoir si le jugement est extérieur ou intérieur, ainsi pour identifier la capacité critique de la personne, ou sa perméabilité.)
Quelle est l’importance de ce problème pour vous ? (graduer le problème pour connaître le sérieux de la question ou sa singularité.)
La question de clarification vise à annuler la confusion, à comparer, à organiser, à faciliter le choix, la hiérarchisation des idées et à mettre la personne en rapport avec elles. C’est une catégorie de questions qui chevauche celles de la conceptualisation qui permet la synthèse et de l’approfondissement nécessite le développement.
Par quoi peut-on faire suivre ces questions de clarification ?
La clarification peut nécessiter ou découler sur une question de choix (finalement quel sens nous gardons), de priorisation (ce qui paraît le plus évident ou important), ou de conceptualisation (nommer pour simplifier et garder la clarté).
Qu’est-ce qui est le plus important ?
Que choisis-tu ?
Quel est le concept le plus important de votre question ? (choisir un concept, poser une priorité dans les idées et apprendre à distinguer.)
Quel problème est soulevé par votre question ? (identifier l’implication de la question, un présupposé plutôt évident.)
Les questions de conceptualisation visent à définir, nommer, résumer un discours. La conceptualisation est l’art de l’élagage, de l’épurement de la parole et de la pensée, de l’abandon à travers le choix, de la finitude à travers la délimitation, de l’abstraction à la place de la narration ou de la description.
Par quoi peut-on faire suivre ces questions de conceptualisation ?
On peut ensuite faire travailler les antinomies (bien/mal, essentiel/accidentel, etc.), et problématiser. Ou bien, travailler la transvaluation (passer du négatif au positif, ou l’inverse). Ou encore faire justifier un choix, un positionnement. Nous pouvons faire exemplifier pour concrétiser l’idée ou à l’inverse, poursuivre le travail de réduction phénoménologique, c’est-à-dire faire donner un sens le plus factuel possible à un exemple, suivi de conceptualisation, puis vérifier ensuite si le concept produit se retrouve dans d’autres cas de figure.
Quel problème pose cette idée que tu aimes tant ?
Retrouves-tu cette idée dans d’autres cas de figure ?
Voyez-vous un problème dans votre question/réponse ? (faire travailler l’esprit critique, l’autoanalyse, le « savoir ce que nous disons » et « comment nous le disons ». Faire trouver une faiblesse, une incohérence, une limite.)
Selon le sens commun, cette idée a-t-elle cette signification ou une autre ? (faire distinguer le sens commun de l’opinion personnelle, décentrer la personne et l’ouvrir à une possibilité à laquelle elle était fermée)
C’est la compétence la plus représentative de l’esprit critique, car elle identifie et formule des problèmes pour les analyser, les déconstruire ou les trancher. Les questions de problématisation visent à mettre en évidence des contradictions, des incomplétudes ou tenter des expériences de pensée. Elle implique le décentrement de l’esprit et entraîne la flexibilité.
Par quoi peut-on faire suivre ces questions de problématisation ?
Faire opérer un choix de positionnement. Faire identifier les critères de ce choix de positionnement. Faire comparer les deux visions, les conceptualiser, identifier les enjeux.
Qu’est-ce que tu préfères ?
Qu’est-ce qui te semble le plus pertinent ?
Pourquoi dites-vous cela ? (demander une explication, plus de matière, de substance, ce qui fait aussi travailler l’argumentation, l’explicitation.)
Comment articulez-vous ces deux idées ? (faire produire un lien substantiel, connaître le rapport qu’elles entretiennent, de façon à comprendre les conséquences ou les causes de cette articulation dans le fonctionnement du sujet.)
Les questions d’approfondissement cherchent à explorer les implications plus profondes, en demandant d’argumenter, d’exemplifier, de comparer, dans la mesure où l’idée fait sens. Ce serait le mouvement contraire de la problématisation.
Par quoi peut-on faire suivre ces questions d’approfondissement ?
Par de la conceptualisation, après l’explication vient la synthèse, l’unité ou l’essentiel.
De quoi sommes-nous en train de parler ?
Quelle idée ressort de notre discussion ?
Vous avez une réponse à proposer à votre question ? (« question miroir »)
Comment qualifie-t-on quelqu’un qui se pose ce genre de question ? (faire poser un jugement sur l’auteur de la question de façon générale)
Par quoi peut-on faire suivre ces questions sur les attitudes ?
Faire travailler le rapport à ce jugement, se laisser étonner ou creuser l’idée, voir les comportements qu’elle génère. Mettre en rapport avec des exemples de la vie du sujet pour illustrer ou faciliter l’analyse de la présence de l’idée dans son existence.
Es-tu surpris ?
L’idée te parle ?
Quel présupposé voyez-vous dans la question ? (identification d’un présupposé impliqué par la question initiale, décomposition du problème.)
Quel type de pensée correspond à cette question/idée ? (identification d’un contenu commun dans lequel ce qui vient d’être dit peut s’intégrer.)
Par quoi peut-on faire suivre ces questions sur les présupposés ?
Nous pouvons demander quelles implications a un présupposé, des causes, des conséquences, la nature même de l’idée, le paradigme dans lequel elle s’inscrit. Nous pouvons approfondir un présupposé, conceptualiser, le comparer au sens commun éventuellement, ou travailler l’antinomie général/particulier.
petit exercice : imaginez une réponse du sujet et trouvez une nouvelle question du philosophe qui peut suivre assez logiquement chacune des questions proposées ci-après et la réponse qui y aura été apportée. Et pensez à d’autres questions-types qui pourraient venir compléter cette liste.
Quel est le concept ou mot le plus important de la question ?
Quel type de pensée correspond à ce concept ?
En quoi le problème soulevé par la question vous concerne ?
Quel présupposé voyez-vous dans votre question ?
Voyez-vous un problème dans la question ?
Comment qualifie-t-on une personne qui s’intéresse à ce type de question ?
Quelle vision du monde est impliquée par ce concept ?
EXEMPLES de questions initiales suivies de premières questions du philosophe dans le cadre d’une consultation philosophique
petit exercice : trouvez une réponse du sujet puis une nouvelle question du philosophe qui peuvent suivre assez logiquement chacune des questions proposées ci-après.
Pourquoi j’ai peur ?
Quelle vision a du monde une personne qui pose cette question ?
Quel problème la peur pose-t-elle dans votre existence ?
Voyez-vous un problème dans la question ?
Qui suis-je ?
Ça vous va que dans toute question, il y a des présupposés ?
Depuis combien de temps vous connaissez-vous ?
Avez-vous déjà tenté de répondre à cette question ?
Les compétences philosophiques comme l’approfondissement, la conceptualisation, la problématisation et le questionnement sont essentielles pour structurer et affiner la réflexion. L’approfondissement permet de s’immerger dans une idée, de la décomposer et de la recomposer pour en saisir toute la complexité. La conceptualisation aide à clarifier et simplifier les idées, en créant des concepts précis et utiles. La problématisation introduit le doute et invite à examiner les idées sous différents angles, évitant ainsi la pensée dogmatique. Le questionnement, quant à lui, est l’outil par excellence pour explorer et approfondir les idées.
Ces compétences interagissent et s’influencent mutuellement. Par exemple, la problématisation peut conduire à un approfondissement plus poussé, tandis que la conceptualisation peut aider à formuler des questions plus pertinentes. Ensemble, elles forment une approche cohérente pour traiter des problèmes existentiels et pratiques, en aidant à structurer la réflexion de manière rationnelle et rigoureuse.
C’est appliquer une idée dans la vie courante, ou être capable de la reconnaître, et de façon plus large, cela revient à à filtrer les motivations de nos actions et choix afin de mieux comprendre ce qui nous meut dans l’existence. La méthodologie est un outil qui permet de structurer la réflexion, que celle-ci soit solitaire ou collective. Elle implique qu’on en comprenne certains principes et leurs effets. Elle est également dynamique et peut évoluer au fil de l’expérimentation. En effet, la méthodologie peut s’affiner et devenir de plus en plus précise et rigoureuse à mesure de son application. Ses principes peuvent servir de socle et être mis en pratique dans une variété de formes d’ateliers.
En utilisant une méthodologie structurée, nous pouvons mieux comprendre comment notre réflexion fonctionne et comment nous pouvons la faire évoluer de manière rationnelle et rigoureuse. Cela peut nous aider à mieux analyser les idées et les concepts que nous abordons, et à développer notre réflexion de manière plus fluide et consciente d’elle-même. C’est un support au traitement des problèmes de l’existence.
Le travail sur les idées répond à un besoin de comprendre et de savoir. L’étude et l’application des idées des grands penseurs consistent surtout à dialoguer avec des penseurs de tous temps et horizons afin d’élargir notre vision du monde. Cela peut impliquer la lecture de philosophes, dont certains sont assez faciles à comprendre, d’autres plus complexes. Cependant, la lecture seule ne suffit pas pour acquérir de la connaissance. En effet, elle doit générer un questionnement et un processus de clarification, afin de formuler des problèmes et de comprendre leur pertinence ou leur application dans la vie. En particulier, l’exercice de l’écriture est un apport essentiel dans cette démarche, quand bien même il prendrait la forme de prises de notes. Ce faisant, nous pouvons développer notre connaissance et notre réflexion, aller au gré de notre curiosité, de nos lectures et des échanges. Les idées gagnent en signification car nous prenons le temps de les penser, et de les repenser, elles sont alors plus faciles à retenir et à articuler.
Et si nous reprenons la démarche de Socrate qui consiste à partir du principe que nous ne savons rien, il ne s’agit pas d’une ignorance permanente, mais plutôt d’un étonnement, d’une disposition à observer, accueillir, jouer avec les idées. Ce principe présente un aspect particulier de ne pas avoir de spécialisation, puisque la finalité est d’être capable de penser ; cependant, au fil de la pratique, il est possible d’identifier nos tendances. Ce n’est pas non plus une accumulation de connaissances, puisqu’il n’y a pas de leçon à apprendre. C’est un savoir transversal qui est une manière de procéder, de mener sa réflexion, et la constitution d’une boîte à outils.
Ces trois approches ne sont pas mutuellement exclusives et le travail d’un philosophe peut intégrer plusieurs d’entre elles.
L’étonnement nous enseigne l’importance de maintenir une curiosité insatiable, de cultiver une remise en question perpétuelle de nos certitudes et d’embrasser l’incertitude comme une opportunité d’apprendre et de grandir intellectuellement. La philosophie commence donc avec l’étonnement, mais elle s’épanouit à travers un engagement actif et critique avec les questions qu’il soulève.
L’acte de critiquer ou d’évaluer les actions, les choix ou les travaux d’autrui peut être une démarche constructive pour soi-même. Cela nous oblige à réfléchir sur nos propres standards et attentes. Ceux qui pratiquent régulièrement l’exercice de soumettre les actions et les manières d’être des autres à une critique interne se donnent personnellement l’opportunité de se corriger et de s’améliorer. Cette démarche nécessite une certaine équité d’esprit, ou du moins une dose de fierté, pour vouloir éviter de reproduire les comportements que l’on a critiqués chez les autres.
L’univers est un lieu de conflit et d’oppositions dynamiques, où tout est en état de flux perpétuel. Le combat ou tension entre les opposés est ce qui engendre la réalité et le changement. C’est ce qui fait évoluer et exister les choses. De ce fait, comprendre le monde implique d’accepter et d’explorer ces tensions, plutôt que de les éviter. C’est un principe qu’on peut retrouver chez Hegel sous la forme de la dialectique, composée d’oppositions qui se dissolvent successivement.
Dans la réalité, tout est interconnecté, ce qui souligne l’importance de la conceptualisation. Nous étant impossible de saisir le monde d’un seul coup, nous devons former des concepts. Ceux-ci transcendent nos perceptions ordinaires et multiples car ils réunissent divers aspects de notre expérience en des catégories, qui elles-mêmes se rejoignent en un absolu. Ce processus de conceptualisation nous place dans, puis au-delà de la séparation apparente du monde, et nous fait poser une essence de la réalité. Envisageons-le soit d’un point de vue intellectuel, soit métaphysique.
Détachons la philosophie des notions traditionnelles de contemplation et de réflexion, pour la placer dans le domaine de la création active. Le cœur de l’activité philosophique résiderait dans la fabrication de concepts nouveaux et originaux, plutôt que dans la découverte de vérités préexistantes. Les concepts ne sont pas des entités immuables trouvées dans un monde idéal, mais des constructions intellectuelles forgées par les philosophes eux-mêmes. Cette vision transforme le philosophe en innovateur, dont le rôle est d’explorer, d’interpréter, et de transformer la réalité à travers la création de nouveaux outils de pensée. Le caractère de la philosophie serait dynamique et évolutif, elle serait une discipline en perpétuelle remise en question et en renouvellement permanent, où chaque concept est à la fois une réponse à un problème et une invitation à repenser le monde d’une manière inédite.
Dans la caverne de Platon, les habitants ne connaissent que les ombres sur un mur, une vision restreinte de la réalité. Quand l’un d’eux s’échappe et découvre le monde extérieur, il réalise que ses anciennes croyances n’étaient que des illusions. La connaissance est basée sur la perception sensorielle et peut être trompeuse, comparée à la compréhension acquise par la pensée critique et la raison. Lorsque l’homme éclairé tente de partager sa découverte, il est confronté à l’incrédulité et à la résistance, ce qui évoque les difficultés à bousculer les idées établies.
La méthode du doute systématique permet d’établir une base solide de connaissance. Une chose n’est vraie que si nous la comprenons de manière claire et distincte. En remettant en question nos croyances, y compris celles couramment acceptées, nous pouvons découvrir ce qui est indubitablement vrai. Cette démarche critique rejette l’acceptation aveugle des idées et privilégie une démarche rigoureuse.
Le principe de raison suffisante de Leibniz établit que tout ce qui existe a une cause ou une raison qui en explique l’existence et les propriétés. Cette idée soutient une vision du monde ordonnée et rationnelle, où chaque phénomène peut être compris à travers une chaîne causale infinie. L’enjeu principal de ce principe est de souligner la capacité de la raison humaine à déchiffrer l’univers, en partant du postulat que tout est régulé par des principes logiques et cohérents. Il rejette l’existence du hasard, affirmant que même les événements apparemment fortuits ont une explication. Ainsi, Leibniz promeut une exploration continue de la réalité, basée sur la croyance en un ordre universel intelligible et dans l’importance de rechercher les causes premières pour comprendre le monde et notre rôle en son sein.
La réduction phénoménologique consiste en une mise entre parenthèses, ou une suspension, de toutes les croyances et suppositions préalables concernant l’existence et la nature du monde extérieur. En pratique, cela signifie mettre de côté les jugements concernant la réalité objective des choses pour se concentrer purement sur la manière dont elles se présentent à la conscience, c’est-à-dire sur les phénomènes eux-mêmes. L’enjeu est de parvenir à une compréhension plus authentique et immédiate du monde tel qu’il est vécu, en se libérant des suppositions accumulées par l’histoire, la culture, et la science.
Le « concept sans intuition » se réfère à la pensée pure, dépourvue de contenu empirique. Kant affirme que sans l’apport d’expériences sensorielles concrètes, nos concepts restent vides ; ils n’ont pas de référent dans le monde réel et, par conséquent, ne peuvent contribuer à une véritable connaissance. D’un autre côté, l’« intuition sans concept » fait allusion à l’expérience sensorielle brute, non filtrée par l’intellect. Sans les cadres conceptuels pour organiser et interpréter ces données sensorielles, nos perceptions resteraient désordonnées et incompréhensibles, nous laissant incapables de former des connaissances cohérentes sur le monde.
Le fait d’être continuellement en présence des autres engendre la difficulté de se taire, car on est mû d’un élan naturel à leur adresser des idées ou des informations, à partager ses sentiments ou son expérience. Le silence semble antinomique avec l’acte d’être en présence d’autrui. La maîtrise de soi et de sa parole est ainsi un véritable défi, principalement, pour ceux qui sont habitués à exprimer constamment leurs pensées, les bavards. Or le silence n’est pas seulement un acte de retenue, mais aussi une opportunité pour la contemplation, l’examen critique de ses propres idées et croyances, ainsi que la liberté de l’auditeur.
Le vrai ne peut être compris que lorsque nous nous intéressons à lui de manière consciente et réfléchie. C’est en pensant de manière rigoureuse et méthodique que nous pouvons atteindre la vérité. Le « penser vrai » est donc un processus de réflexion et de compréhension qui permet de saisir la vérité de manière objective et rationnelle. Cela implique de se poser des questions, de faire des analyses et des synthèses, et de se remettre en question pour arriver à une compréhension rigoureuse du monde et de la réalité.
En résumé, ce chapitre a expliqué plusieurs compétences clés de la pratique philosophique : l’approfondissement, la conceptualisation, la problématisation et le questionnement. Chacune de ces compétences joue un rôle crucial et spécifique dans la structuration et l’affinement de la réflexion. En utilisant ces outils, nous pouvons mieux comprendre les idées, les concepts et les problèmes que nous abordons, et développer notre réflexion de manière plus consciente et rigoureuse. Elle assure de saisir rapidement la dimension objective d’une situation et la capacité de se placer du point de vue le plus pertinent, et qui n’est pas toujours le nôtre.
Pour aller plus loin, nous devons maintenant nous tourner vers un autre aspect crucial auquel la pratique philosophique se confronte : les émotions. Les émotions jouent un rôle central dans notre vie quotidienne, influençant nos décisions, nos interactions et notre bien-être général. Cependant, elles sont souvent mal comprises ou sous-estimées. Il est vrai que leur complexité décourage fréquemment la volonté d’examiner leur rôle et de les travailler. On se contente d’une perception et on y oppose souvent une indifférence pour éviter les conflits ou les blessures, ou on impose son expression de soi afin d’avoir le dessus dans un échange. Mais c’est pourtant assez simple de poser un nom général sur un phénomène comportemental ou physique, sans tenter de rentrer dans les détails de l’interprétation psychologique. C’est ce à quoi nous procédons dans le chapitre suivant.