Imitation : copier et voler.


« Les bons artistes copient, les grands artistes volent », disait Picasso.
Cette citation nous donne à penser que voler est un acte fort et audacieux, qui se distingue de la copie qui est simple reproduction, qui montre une timidité, un rester à la surface, et ne tenter que de se saisir l’apparence. Le vol, lui d’une certaine manière, plus noble, serait au dessus. Voler c’est s’approprier l’essence, saisir l’élan, la dynamique et l’esprit. Cependant cette citation, aussi percutante soit-elle, laisse une impression ambivalente. Elle brille par sa malice, mais elle semble glorifier l’élan fulgurant du génie, comme si la création surgissait d’un geste pur, sans histoire, sans préparation. Elle donne à croire que l’artiste se définit uniquement par sa capacité à surpasser, à s’imposer. Mais alors, que devient le chemin ? Que deviennent les années de formation, les essais, les influences, les gestes répétés, les recherches patientes ?
Car copier n’est ni une faiblesse ni une soumission. C’est un point de départ. Copier, c’est apprendre à regarder autrement. C’est entrer dans la main de l’autre, suivre son trait, comprendre ses choix, éprouver ses rythmes. C’est façonner son regard, construire une mémoire visuelle, aiguiser sa sensibilité. C’est se forger des appuis, des outils, des gestes, un langage.
Car créer ne commence pas dans l’éclair du génie, mais dans un travail soutenu, exigeant, parfois ingrat. Il faut recommencer, insister, traverser le doute, la fatigue, l’inconfort. Il faut accepter de chercher sans toujours trouver, de faire sans toujours comprendre.
Copier est une discipline vivante, une tension intérieure. Pas un effacement, mais une construction.
Et puis, l’imitation ne se fait pas à l’écart du monde. Elle se nourrit aussi de confrontation, de mise en jeu. Il ne s’agit pas d’attendre un jour parfait pour oser. Il faut, même en pleine phase d’apprentissage, oser s’exposer, se risquer, affronter les regards, les critiques, les limites. C’est aussi ainsi qu’on avance : en se mettant à l’épreuve, en assumant ses maladresses, en prenant le risque de s’ouvrir avant même d’être sûr de sa voix.
Et peu à peu, quelque chose change. Ce que l’on a reproduit fidèlement commence à bouger, se transformer, prendre une direction singulière. L’influence, quand elle est pleinement traversée et assumée devient création. Le geste s’écarte du modèle, la main devient la sienne.
Voler, alors, n’est pas un geste de conquête. C’est le signe que l’on s’est approprié une matière, un esprit, une filiation. Ce n’est pas un triomphe, mais une transformation. Pas une supériorité, mais un passage. Un envol.
Il n’y a pas de création sans imitation, ni sans apprentissage. Il n’y a pas d’élan sans appui. Et peut-être que la force d’un artiste ne se mesure pas à ce qu’il veut surpasser, mais à ce qu’il a su accueillir, traverser, digérer. Ce feu que l’on fait sien n’est pas un feu volé, c’est un feu cultivé.

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