Art et Philosophie en Pratique

Art du questionnement et questionnement de l'art

La problématique du philosophe-animateur

En dehors de la maïeutique socratique proposée par Oscar Brenifier, j’ai découvert les méthodes citées ci-après, entre autres la méthode Lévine découverte lors d’une formation prodiguée par D’PHI, sur la discussion philosophique et les compétences de l’animateur. Par ailleurs, mon rôle d’animatrice provoque chez moi un certain nombre de questions, relatives au choix que doit faire l’animateur concernant son rôle, son attitude, sa méthode et les conséquences que tout cela implique sur l’expression de chacun, des idées mises en œuvre au sein du groupe de travail. Je fais une rapide présentation de la maïeutique socratique que j’utilise dans mon travail, et des méthodes Lipman et Lévine, que j’ai découvertes. Lorsque j’évoque leur usage et que je dois choisir l’une d’entre elles, il m’apparaît alors des contradictions, que j’énonce sous forme de questions. Avant toute chose, dois-je préparer l’animation de mon atelier ? Le savoir est-il essentiel au travail en atelier-philo ? Par ailleurs, l’animateur doit-il faire attention à son expression dans un travail en groupe ? Quel est le but d’une séance ?


Voici les réponses que je constitue sur la base de ma réflexion et de mon expérience. Premièrement, la préparation de l’atelier met en jeu le rapport du savoir de l’animateur avec celui des participants : si je ne prépare pas mon atelier, c’est parce que je souhaite découvrir la parole des participants et travailler sur la prise de conscience. J’accepte alors mon ignorance et de la soumettre aux participants, d’adopter une posture de flexibilité et d’ouverture à l’autre. Cela sous-entend aussi une certaine confiance dans mes moyens. Dans le cas contraire, ma préparation m’apporterait une connaissance du thème abordé et m’aiderait à approfondir ma critique plus rapidement, d’envisager instinctivement, le champ d’implications des concepts proposés.
Essentiellement, la préparation de l’atelier est accompagnée de l’appréhension, liée au caractère de l’animateur et indiquant une peur du silence et de l’ignorance. D’une part, le silence est associé au non-être. Une sorte de vide où il ne veut pas tomber, l’appelant à une chute vertigineuse. Ce peut être aussi la peur de l’erreur, ou la perte de contrôle de la séance. Par contre, l’appréhension peut éventuellement générer une forme d’adrénaline, liée à la confrontation de sa pensée avec celle des autres, et principalement une sorte de défi personnel, par exemple en matière de leadership. Mais cette peur est-elle nécessaire ? Non, d’une part, le déroulement de la séance est inattendu. Il est même préférable de ne pas se laisser submerger par elle car elle peut éventuellement empêcher l’animateur de prendre en compte les paroles du participant par le simple fait qu’il ne se pose pas, qu’il est dans sa propre temporalité, sa subjectivité, le plaçant dans une sorte de fugacité. D’autre part, comme cette peur est susceptible d’être une peur plus générale dans le fonctionnement du praticien, qui pourrait trouver intéressant de travailler sur elle, la comprendre, identifier ses causes et ses conséquences. De cette manière, il gagnerait en sérénité dans son animation et de manière générale. 
Cette peur peut être provoquée par la question de la légitimité de son savoir. Comment “affronter” un groupe de personnes sans posséder la culture philosophique présupposée par tous ? Ou comment questionner quelqu’un sans savoir le domaine conceptuel dans lequel il va répondre ? C’est une inquiétude énorme et sans fin, puisque, évidemment, on ne peut pas prédire une réponse ou un discours. L’animateur pressent un risque d’être remis en question dans la séance : il vient diriger les efforts de la pensée, donc il devrait savoir. Comment peut-on concevoir un animateur ne connaissant pas “ses bases” en philosophie ? C’est d’ailleurs ce que pensent les enseignants par rapport à leurs cours, les maîtres E dans le soutien pédagogique qu’ils apportent aux enfants en difficulté, etc. Mais qui s’attend à un savoir ? Le participant ou bien l’animateur lui-même ? Peut-être que partir à la découverte des idées de chacun peut aussi reposer sur un savoir important, celui de la conscience de son ignorance. C’est ainsi que Socrate concevait l’essence du savoir en disant “je sais que je ne sais rien”.
Pareillement, quand on travaille sur un texte, quelle que soit la méthode employée pour l’étudier, je pense qu’il n’est pas nécessaire de savoir quand a vécu l’auteur, de connaître ses principes directeurs, le contexte de l’extrait. Le texte peut se comprendre par lui-même : “la pierre qui roule” de Spinoza… Je ne connais pas Spinoza, je ne suis pas sûre de ses dates de vie, mais je lis que je dois concevoir une pierre qui roule lorsqu’elle est jetée. Il explique qu’elle poursuit son mouvement, qu’elle se met à considérer qu’elle bouge d’elle-même, comme l’homme saoul qui parle sous l’emprise de l’alcool, l’enfant qui boit au sein parce qu’il a faim. De là en découle le problème de la liberté de l’homme, de ce qu’il en sait, de ce qu’il croit en être et de ce qu’il en fait. En effet, cette connaissance de soi est un des objectifs de l’atelier, ou encore de la consultation philosophique : le savoir que l’on vise en réalité c’est le rapport qu’on entretien avec ses passions, qui nous affectent, moyen détourné de déduire une connaissance de soi. Analyser l’attrait que j’ai pour certains mots et comprendre ce qu’ils disent de moi, tout autant que remarquer que certains sont tabous. Alors, pourquoi aller vérifier le siècle auquel le philosophe a vécu, pourquoi préciser que le texte est extrait d’une lettre à Schüller, en réponse à une attaque ? À quoi cela sert, si ce n’est à rassurer le lecteur, à le repositionner dans des repères historiques, scientifiques, ou autres, qu’il connaît plus ou moins bien ? Étudier un texte, c’est justement l’extraire de tout contexte et saisir son essence, mais c’est aussi un moment pour le lecteur de se sortir de son milieu et de se mettre en apesanteur. Ce n’est pas une relation sociale que l’on recherche dans l’étude d’un texte, mais bien son apport à l’exercice de la pensée. Le savoir théorique et mémorisé est à bannir pour mieux se saisir des idées de l’auteur.
En ce qui concerne la méthode d’animation sur un travail philosophique, en voici quelques-unes actuelles. Par exemple, selon la méthode d’Oscar Brenifier, le philosophe-praticien est présent dans la constitution de la pensée collective et particulière, il est directif. En cela, il vient découvrir ce que pensent les autres, car il ne sait pas d’avance ce qui va être dit. Non pas qu’il pense à la place de l’autre, ou qu’il lui impose sa pensée, mais il est simplement critique envers la parole d’autrui. Être critique amène la pensée à se construire par le biais des questions, qui vérifient la compréhension grâce à la reformulation, examinent la cohérence entre deux idées ou encore les problématisent. En interrogeant son interlocuteur, en faisant naître des réponses, l’animateur expose au groupe la légitimité d’un discours, sa cohérence, ou la présence d’un problème. L’exercice est plus facile si le participant est loyal envers lui-même, s’il accepte de dire ce qui est, ce qu’il est et non d’envisager un monde flou de ce qu’il souhaiterait être. La trame de la méthode est écouter, comprendre, identifier, problématiser, conceptualiser, argumenter. Le groupe se dispose en cercle, afin de faciliter l’interaction, d’être vu et de voir autrui.
Par ailleurs, il existe la méthode Lévine, où nous sommes installés en cercle (vu avec des maîtres E, à dominante pédagogique), nous nous passons le bâton de parole de l’un à l’autre, circulairement, et nous ne parlons qu’au moment où nous l’avons en main. L’animateur prend note des paroles de chacun, ou enregistre, et nous les récapitule à plusieurs moments de la séance. L’avantage de cette méthode est qu’elle oblige les participants à se taire et à écouter ce que disent les autres. Il n’y a donc pas d’instantanéité dans les réactions et d’échauffement des propos. Mais que se passe-t-il lorsque quelqu’un énonce une opinion contraire à une précédente ? Dans l’esprit du contredit et dans l’esprit de ceux qui sont en-dehors de la contradiction ? Il est probable qu’il veuille réagir à l’argument contraire, mais il doit attendre d’avoir le bâton de parole, donc d’écouter les interventions des autres, qui vont peut-être contre-argumenter à sa place. Et que fait l’animateur dans ce cas-là, seulement récapituler les idées, ou bien mettre en avant les deux idées qui s’affrontent ? Il serait utile de faire ainsi, d’autant qu’il distribue la parole, qu’il a la possibilité de la prendre et qu’il est à distance du travail collectif. Et comment les suites de cette opposition sont-elles travaillées par chacun ? Cela peut obliger les participants à faire leur, l’idée d’un autre, du fait de la circularité de la parole, l’auteur d’une idée ne pouvant répondre tout de suite à l’argument contraire.
Lorsqu’on utilise la méthode Lipman, nous sommes installés en cercle, nous lisons un texte, une phrase les uns après les autres, puis nous travaillons sur une question. L’animateur laisse parler les participants, récapitule régulièrement les idées émises, et distribue la parole. Nous finissons l’atelier en écrivant une phrase sur un bout de papier, que nous laissons au centre du groupe. La question n’est pas admise dans les échanges. Les silencieux peuvent aussi bien rester silencieux, même si on donne la priorité à ceux qui parlent moins. Les participants s’aperçoivent qu’ils ne pensent pas tous de la même manière, ils acceptent d’entendre le contraire de ce qu’ils pensent, essaient de déterminer quelle vue est plus exacte et de l’adopter. Mais parfois, la nouvelle proposition est obscure et il devient difficile de la faire sienne. L’animateur devrait alors intervenir et participer à la validation de la nouvelle idée, faire vérifier les raisons pour lesquelles le participant change de position et adopte la nouvelle.
Ce rapide descriptif des trois méthodes amène une nouvelle question sur la façon dont elles peuvent être perçues par les participants et les observateurs.
En quoi une méthode est-elle brusque ou démocratique ? La méthode d’Oscar Brenifier est abrupte et ne peut convenir, semble-t-il, aux enfants (parfois même aux adultes). Pourtant j’ai vu des enfants interrogés, en conversation  avec Oscar Brenifier, avec Isabelle Millon, et les enfants ne se sentent pas brusqués, ils sont en effet intéressés au fait qu’un adulte les questionne, comme eux font avec nous. Pourquoi tout à coup refuser le système du questionnement, aux enfants qui l’utilisent par essence ? Il s’agirait alors de dire que la question est le fonctionnement de l’enfant, mais pas de l’adulte. C’est-à-dire que l’absence de question est l’image de l'”âge adulte”. Mais comment peut-on enseigner à des enfants, ou essayer de les aider, sans utiliser leur propre système ? Leur refuser ce qu’ils sont, des questionneurs, des enfants. En même temps, l’adulte, dans sa peur d’évoquer ses propres angoisses, ses faiblesses, impose dans une fausse forme d’aide à l’expression individuelle ou collective, son propre système de non-dit, de non-réponse, donc de non-question. Il est vrai cependant que parfois certains enfants font blocage, comme les adultes, mais sous des formes différentes. C’est une question de pratique, les débuts peuvent être difficiles mais après c’est simple.
Si on considère que l’enfant est celui qui apprend, car il pose des questions, car il découvre tout autant le monde qui l’entoure que sa propre individualité, alors peut-on considérer que celui qui apprend n’est pas tout le temps un enfant, mais aussi bien un adulte ? Car il existe bien des situations où l’adulte est encore au stade d’apprentissage : un nouveau métier, une naissance, un sport, un accident, penser, trouver sa place par rapport à la société, etc. Apprendre dans un domaine n’est pas contradictoire avec savoir faire quelque chose, ou posséder des connaissances sur un autre sujet. L’adulte considère généralement qu’il doit tout savoir, surtout lorsqu’il est confronté à l’enfant. Comme l’un pose des questions, l’autre doit être en mesure de satisfaire son besoin de savoir. Mais savoir, est-ce simplement être capable de donner une information précise ou bien peut-on envisager une autre manière de savoir ?
Je vois ici une problématique soulevée par la confrontation de la méthode de la maïeutique socratique et la méthode “Lipman” ou encore la “Lévine”. C’est l’approche du participant, ce qui est probablement le coeur du travail. Comment faire penser le participant, sans qu’il soit outré des questions qu’on lui pose ou choqué par le face à face ? On m’a dit qu’une méthode “transitoire” était nécessaire car parfois nos interlocuteurs sont agressifs et fermés à tout exercice de pensée. Mais pourquoi? Je pense qu’il faut accepter l’idée que nous ne pouvons pas “sauver” tout le monde, car nous ne sommes pas des super héros, et que, parfois, les gens ne sont pas tous prêts au même moment à se plier à ce genre d’exercice. Il y a donc du “déchet”, peut-être provisoire, peut-être plus durable, mais la société ou l’humanité ne sont pas uniformes, nous n’avons pas le droit de penser que tout le monde “doit” savoir penser. Du fait même du libre-arbitre de chacun. En réalité, il existe plusieurs méthodes de pratique philosophique, qui cohabitent, ou par moment, se confrontent. Et c’est justement de leur confrontation qu’il ressort des problèmes : la “violence” d’une méthode, l’impassibilité de l’animateur, la sympathie (à tendance psychologique) au lieu de l’empathie (à tendance intellectuelle), la question – qui dérange -, “le penser ensemble” mais pas l’un contre l’autre, etc.
Je comprends que certains préfèrent utiliser la méthode Lipman, ou Lévine, ou une autre afin d’apporter une certaine souplesse, entre autres choses, dans la gestion d’un atelier, bien que la maïeutique socratique n’en soit pas dénuée. En effet, les maîtres E sont là pour aider (sauver?) les enfants en difficulté. Ils sont gênés par la méthode Brenifier car elle brusque et ne cherche pas à mettre à l’aise. Si leur affirmation est critiquée, ils considèrent que toute leur personne est remise en question. En effet, l’individu s’identifie à son propre discours, ils ne font qu’un. Ils refusent donc la question comme outil de travail. Il est vrai qu’ils considèrent la philosophie comme une aide dans la relation à l’autre. La philosophie devient alors l’amour de soi par l’autre. Pratiquer la méthode du questionnement devient alors contradictoire avec cette vue, puisqu’elle vérifie le fondement du discours, par conséquent le fondement de l’individu, son système de pensée. Or il s’avère qu’il utilise ses propres mots pour cacher ses faiblesses, ou plutôt ce qu’il croit être ainsi. De cette façon, il stigmatise ce qu’il croit être des faiblesses sans chercher à en prendre conscience, à les voir sous un jour nouveau, positif. Cesser d’adopter un discours qui nous plaît comme un déguisement à un enfant, pour faire siennes des idées émergeant d’un processus de pensée.
L’essentiel, selon eux, n’est pas de penser en tant que tel, penser pour penser, mais seulement de savoir qu’on pense et de pouvoir se mettre en communication avec l’autre (je dirais plutôt les autres). Il s’agit donc de réintégrer ceux en difficulté dans la société, d’aider celui qui n’y arrive pas (d’ailleurs, j’ai déjà vu en travail de groupe, l’impossibilité de définir aider : c’est un terme judéo-chrétien, c’est péjoratif, on parle d’aider un aveugle à traverser la rue, mais il faut laisser faire l’enfant). Autrement dit “aider” l’enfant, c’est l’empêcher de “s’aider” lui-même, mais on aide certaines personnes qui ont un handicap. Par contre, ils n’aiment pas qu’on réclame leur présence dans une école car c’est souvent pour contrecarrer des mouvements de violence ou d’indiscipline. Ils voudraient être là pour la philosophie, pour penser. “Mais la philosophie contient du psychologique”. Ils pensent qu’il y a un universel, des thèmes universels qu’on peut traiter, comme l’amour, le temps. En même temps, ils expriment leur propre opinion – leur pensée, selon eux – pour traiter ces sujets et utilisent ce qu’ils voient dans leur métier, donc leur propre expérience et le ressenti qui en résulte. Donc à partir de leur situation particulière, ils essaient de “travailler” ou de “penser” sur un sujet universel. Général n’étant pas le mot qui convient, mais bien universel. Penser sur un sujet universel pour justement se sortir d’une actualité, d’un contexte et apporter de la distance par rapport au quotidien, par conséquent on évite les questions sur la morale, car cela a un rapport direct avec ce que l’on vit tous les jours et est donc source de frictions. Et la morale empêche de penser. L’histoire du pharmacien et du mari de la femme atteinte du cancer “n’est pas bien”. D’où une “suspension du temps”, ce que les élèves aiment et ce qui permet la pensée car elle écarte les pulsions liées au quotidien.
Pourquoi est-il difficile d’utiliser la méthode Brenifier ? Parfois, les gens ont envie de s’exprimer et de faire jaillir leurs doutes et leurs angoisses à ce sujet. Ils ont développé un système de pensée, où ils se posent des questions, culpabilisent – comme les maîtres E – parce qu’ils osent faire penser, ils aiment penser ensemble, mais ne veulent pas la confrontation. Ils refusent de répondre à toute question, surtout si on attend un oui ou un non ( “trait caractéristique de la méthode Brenifier”). “Il faut changer des mots dans la question, définir tel mot”.
Je m’aperçois que la méthode socratique n’est pas applicable par tous, car elle vise l’individu, le dérange dans son système de pensée alors qu’on veut créer du confort dans l’esprit du participant. Ils partent du principe qu’il faut une méthode adaptée à l’interlocuteur en difficulté. Les maîtres E recherchent une méthode parfaite. Ils avouent par ailleurs leurs craintes de ne pas savoir, de ne pas être à la hauteur, de ne pas arriver à faire penser les enfants, etc. Ils attendent une réponse, une aide, parce qu’ils se rendent compte de leurs limites, et qu’ils n’ont pas l’envergure pour prendre en charge tout ce que représente leur travail : en bref, remettre les enfants sur les rails de la pensée (et de l’expression sociale). Ils s’imposent des “conditions” au penser intolérables, ingérables par eux-mêmes ! Lorsqu’il faut choisir quels mots on met sur sa pensée, et qu’on les écoute parler, on voit bien que c’est très confus dans leur esprit. Ils veulent être et ne pas être. Aider mais ne pas aider. Faire de la philosophie, mais pas trop. Et si l’animateur qui fait face aux problèmes de son interlocuteur, hésite à les creuser, c’est bien par peur des siens : ne pas faire mal, car je ressens le mal de l’autre, ne pouvant prendre du recul, je refuse de les mettre au jour.
Enfin, les gens doivent arrêter de considérer que la méthode socratique est dure et qu’elle frappe comme un gros coup de massue, afin de l’enseigner. Ils doivent arrêter de la voir comme “un moyen de”, même si parfois nous obtenons certains résultats “satisfaisants” dans certaines situations, à l’école par exemple. Tout en sachant qu’il y a un début à toute pratique, avec ses difficultés, puis une progression avec ses difficultés et ses plaisirs. Car c’est bien là, l’autre point important de l’animation : ses buts. Pourquoi l’animateur vient au devant des gens ? Il vient les faire penser, se poser des questions sur des sujets soit inconnus, soit trop communs. Il vient les faire réagir, regarder les choses d’une façon différente, les sortir d’eux-mêmes. Il vient faire se rencontrer les gens, entre eux, avec eux-mêmes. Il crée ainsi une zone à la fois coupée de l’extérieur, coupée de l’intérieur des gens, mais aussi ouverte sur un autre extérieur, un autre intérieur, le même, vu différemment.
Il s’avère qu’émettre des idées en groupe est déjà une forme d’engagement, dire ce que l’on pense implique de faire exister son propre moi. Mais cette attitude n’est pas complète, n’est pas légitime au regard de la pensée lorsqu’on n’accepte pas la conséquence de cette affirmation, c’est-à-dire la possibilité d’une contre-argumentation. Lorsque l’idée émise est acceptée par toutes les autres personnes du groupe, c’est un grand confort. Mais quand elle ne rencontre pas l’agrément de quelqu’un d’autre, elle provoque une objection. Et là, naît un problème : accepte-t-on cette objection ? Si oui, on est alors tolérant (accepter que l’autre soit différent), cela veut dire qu’on accepte que son idée ne fasse pas écho chez quelqu’un et que celui-ci exprime son désaccord. La méthode socratique commence après : on confronte sa propre idée avec celle de l’autre, et peut-être même qu’on l’abandonne finalement si elle s’avère être bancale. Si l’on refuse de confronter son idée avec celle de l’autre, alors on refuse de régler le problème ainsi créé, car on ne veut pas le voir. Par conséquent, dans un cadre collectif, on construit aussi l’individualité, non pas que le collectif impose obligatoirement sa forme à l’individu, mais bien les compétences de l’individu aident à construire le groupe. Pour ce faire, l’autre n’est plus un danger pour soi, mais l’outil ou l’intermédiaire pour se construire.