Ce qui est surprenant avec les émotions, c’est qu’il est difficile de déterminer leur cause ou leur origine exacte, ainsi que l’endroit précis de l’esprit ou du corps où elles se manifestent. L’identification des émotions et des sentiments est délicate, car elle requiert de la subtilité et va parfois à l’encontre d’une sacralisation de ces mouvements intérieurs. Étant davantage de la sphère privée que publique, son apprentissage dépend souvent du cadre familial et du désir des parents d’éduquer ou non à la connaissance de soi. Cet apprentissage est souvent intuitif et sporadique. Essayons quelques observations pour poser les bases de notre réflexion. L’être humain est empathique, ce qui couvre deux dimensions, d’une part innée, d’autre part culturelle. Chaque individu a une histoire personnelle où certains événements le marquent profondément et modèlent son caractère. De ce fait, il peut être mû par le besoin d’exprimer ce qu’il vit et ressent, parfois au point d’en former son identité et sa vision du monde. Sa subjectivité peut lui jouer des tours et parasiter sa compréhension. D’autre part, il apprend ce qui est bien et mal dans ses actions, à se conformer à des règles sociales de tolérance,
Elle est la capacité de comprendre et de partager les sentiments d’autrui. Il suffit d’être sensible aux émotions d’autrui pour commencer à ressentir la même chose que lui. Les mouvements de foule peuvent ainsi s’expliquer par cette empathie instinctive. Ainsi nous pouvons être facilement influencé par la perception de l’autre et par son comportement inhérent. On peut le voir dans les couloirs du métro, où l’on se met à marcher aussi vite que les autres usagers, ou dans les caméras cachées qui montrent l’humoriste faisant soudainement un écart sur le trottoir et est aussitôt imité, par réflexe.
Cela offre aussi l’opportunité de remarquer ce qui se passe chez l’autre, de profiter du pouvoir cathartique de l’observation, de sortir d’un état hypnotique, puis de faire des déductions par analogie sur notre propre compte. En faisant la différence entre l’autre et nous, en nous demandant qui ressent l’émotion, nous comprenons qu’en regardant l’autre, qui lui-même contemple un objet, nous nous sommes identifié à son fonctionnement, à sa vision. En observant des signes extérieurs, des attitudes ou en écoutant le ressenti exprimé par l’autre, nous accédons à une certaine compréhension de son émotion. Si nous regardons directement ce même objet, nous ne ressentons probablement pas la même chose, vu que le contact serait déterminé par notre propre nature et celle de l’objet. L’exemple du commérage ou du récit d’un événement soulève ce problème : il arrive que nous ne connaissions une personne ou une situation que par ouïe-dire, qu’au travers de propos d’autrui, influencés par ses propres biais psychologiques. C’est à partir de ceux-là que nous formons une opinion sur cette personne ou situation, même sans y avoir fait directement face, du fait que nous prêtons quelque crédit à la sincérité de notre narrateur. C’est la première étape de la connaissance du monde : facile, pratique, mais aussi naïve et superficielle.
Le passé personnel et ses influences sur les émotions présentes pourrait s’analyser de manière relativement objective. Cependant, il est souvent vécu du fatalisme et de la résignation. Sur toutes les occasions où nous nous sommes interrogé sur l’origine des émotions qui nous traversent, combien de fois les questions sont restées en suspens ? D’un point de vue psychologique, une ancienne expérience malheureuse ou traumatisante peut resurgir dès qu’un nouveau choc lui fait écho. La rapide interprétation des faits nous conduit à ranger l’événement selon le bon et le mauvais. C’est l’instinct de survie qui nous dicte notre autoprotection. Les effets peuvent également se manifester dans d’autres circonstances sans que nous nous en rendions compte. Pour comprendre l’impact du phénomène sur son environnement, imaginez un séisme, dont les ondes partent du foyer, autour duquel la roche se fissure – comme une cicatrice – et se propagent en cercles concentriques qui perdent progressivement de leur intensité sur la distance parcourue ou en s’échouant sur un endiguement. Par exemple, une rupture dans une relation amoureuse peut réveiller chez une personne la peur de l’abandon, en écho à une situation précédemment vécue comme telle et qui aura entraîné la crainte de celui-ci. Voire, toute situation teintée de conflit déclencherait une étincelle et maintiendrait cette peur de façon à moitié consciente et incontrôlée.
Sur le plan de la parole, le langage ne serait plus alors notre faculté de décrire la réalité ou notre rapport à celle-ci, mais la projection d’une émotion sur l’objet ou l’interlocuteur. Il deviendrait le moyen par lequel nous exprimerions une dépendance ou un besoin de nous libérer d’une souffrance. Le rapport à la parole peut ainsi se présenter comme un canal évident d’extériorisation : d’abord par une forme d’intellectualisation de la communication – au lieu de dire « aïe » pour exprimer la douleur, on dit qu’on a mal -, et ensuite parce que la parole est le cri, le jaillissement du mal-être, d’une difficulté qui demande à être prise en charge, adressée en particulier à l’intention d’autrui. Ceci peut s’expliquer par le fait que notre émotion a la possibilité de s’exprimer de façon autonome et sans lien avec notre volonté. « C’est plus fort que nous ». La raison n’intervient pas, réduisant l’intellectualisation, elle laisse ainsi l’acte créé s’accomplir de lui-même et se poursuivre en ses conséquences. Il en ressort une impression forte de perte de contrôle, une frustration, ou une détresse, qui nous empêche de jouir momentanément de notre faculté de tenir des propos positifs, créateurs et valorisants. Ceci peut se produire également lorsque l’émotion est joyeuse, elle peut atteindre l’extase, ou du moins une excitation intense, le sentiment d’insatisfaction est en apparence bien moindre, du fait de la dimension positive de l’émotion. L’émotion maintient la parole dans la fonction d’un médium d’expression inopérant, car les mots ne sont pas assez efficaces pour exprimer le ressenti. D’autre part, un état d’intensité élevée ne peut pas être permanent, il finit par disparaître, la force de la phase négative est proportionnelle à la positive, le moment d’extase appelle un moment de « dé-pression ». La comparaison entre une langue maternelle et une étrangère peut nous aider à comprendre la frustration de notre rapport à la parole : il nous arrive de recourir à notre langue natale lorsque nous devenons émotionnel, considérant que d’autres idiomes ne procurent pas tous les mêmes trésors de subtilité sensible. Certaines cultures ont développé un vocabulaire parfois très riche pour identifier et catégoriser certains phénomènes qui lui sont typiques, par exemple, nous entendons souvent parler des nombreux mots que les eskimos utilisent pour nommer les différentes formes de la neige. Nous pourrions faire cette analogie avec les affects d’une personne qui chercherait à exprimer les infimes variations de son âme. Or, cette variété paraît généralement trop subtile à l’étranger, qui peut même en être ignorant.
Le terme d’identification présente dans cet ouvrage son ambiguïté, dont ici ressort le sens d’assimilation. Il n’est pas question de distinguer, mais d’associer et de confondre. De plus, lorsque nous sommes agacés par un « manque de respect » ou tourmentés par un mal, nous avons tendance à rejeter cet inconfort sur autrui, parfois d’une manière bien plus importante, physiquement ou psychologiquement. Un système lourd de ses données sensibles, qui nous entrave et qui imprègne notre entourage. Nous pouvons certes revendiquer l’idée d’instinct de préservation, selon lequel on ne garde pas longtemps une douleur pour soi pour éviter de rompre son homéostasie. Ce qui signale un premier degré de conscience d’un mal. Néanmoins, la démarche d’évacuation n’est pas censée en rester là, et pourrait être d’autant plus bénéfique en aboutissant sur une meilleure gestion du phénomène, en particulier sa compréhension. Cependant, notre rapport à un objet, à une situation ou à autrui, nous apporte des sensations, des impressions sur notre activité. Il arrive même que nous forgions notre identité grâce à celle-ci, ce qui nous donne l’impression de pouvoir nous représenter ce que nous sommes. Le système émotionnel montre deux aspects, qui ne sont pas nécessairement contradictoires : d’une part, l’émotion est le moteur ou l’obstacle de l’action, d’autre part, elle crée l’illusion de se connaître par le biais d’un choix plus ou moins clair entre agir et non agir. Par exemple, nous pouvons distinguer les personnes placides et les inquiètes : les premières pourraient être soupçonnées de ne pas ressentir beaucoup d’émotion, puisqu’elles sont vues dans une activité extérieure ou physique réduite. Leur passivité réduit d’autant les contacts et contient une mise à distance. Mais l’apparence peu émotionnelle cache le fait que ces personnes sont tentées d’affronter des situations risquées, peut-être afin de compenser cet éventuel déficit sensible, peut-être parce qu’elles sont peu impressionnables. Tandis que les personnes que nous qualifions parfois d’hyperactives semblent vivre dans une certaine agitation, relative à leurs activités ou d’ordre émotionnel, et peuvent se révolter facilement contre ce qu’elles considèrent être de la violence. Par conséquent, elles appréhendent de façon plus soucieuse les émois importants, et laissent échapper les leurs dans un mouvement parfois teinté d’hystérie.
Ce sont les manifestations de l’attribution à autrui de ses propres émotions ou pensées. Pourtant, lors d’une visite au musée, lorsque nous observons un tableau, nous le jugeons d’une manière bien subjective. Ce que nous sommes en train de contempler attire notre attention d’une façon spécifique. Il suffirait alors de comparer notre point de vue avec celui d’une autre personne pour nous apercevoir de cela. Untel aime les couleurs d’un tableau, l’esthétique chatoyante et harmonieuse. Tandis qu’un autre déplore le côté primaire et plat des scènes représentées. Ou pourquoi l’un trouve tel film triste, pas son voisin. Est-ce que parce que la tristesse est en lui déjà ? D’autant plus, si le film fait jouer des paramètres susceptibles de provoquer ce sentiment, tels qu’une scène d’injustice, malgré cela, tout le monde n’y est pas nécessairement sensible. Et comment se fait-il que nous accusions quelqu’un d’avoir telle attitude odieuse, alors que d’autres observateurs y donneront une dimension de pertinence ou d’objectivité ? Ce phénomène peut s’appeler « projection », si un sentiment personnel est récurrent dans le fonctionnement personnel et teinte le jugement de façon automatique. Ou il s’agit de « surinterprétation » si le jugement fait un lien hâtif entre une donnée secondaire et un sentiment ou une opinion personnelle qui se présente comme évidente. Nous imaginons dans la personne ou l’objet, ce qui n’est en fait qu’en nous, nous interdisant une vue objective ou factuelle. Ainsi, contempler les facettes du fonctionnement d’autrui permet de nous y reconnaître et de décrypter le phénomène. Il ne s’agit donc pas uniquement d’assister à un échange ou à un spectacle, mais aussi de voir en quoi il est utile pour notre réflexion personnelle.
C’est la difficulté à identifier et à décrire ses propres émotions. Il y a un âge où ce phénomène tend à s’inscrire particulièrement dans le fonctionnement individuel. Dans son évolution physiologique, l’adolescent est tellement submergé par ses bouleversements internes qu’il en arrive à en nier les symptômes et les implications. C’est un phénomène qui se rapproche de l’alexithymie, l’incapacité à mettre des mots sur les émotions et sentiments et qui est compensée par une pensée factuelle et pratique. Ainsi, lorsqu’il parle de sa propre vie, le jeune évoque des situations qui sembleraient problématiques aux yeux des adultes, ses parents ou certains professionnels de l’éducation. Il exprime pourtant cela d’une façon presque indifférente. Le décalage se fait entre l’apparente nonchalance du récit de faits pour le moins surprenants, voire inquiétants par rapport à une réalité sociale basée sur des préceptes qui servent de repères dans l’éducation.
Par exemple, rester seul à la maison peut augmenter le sentiment de solitude et la crainte de faire une erreur, et générer une suspicion d’ingérence des parents chez autrui. Alors que le jeune ne considère pas qu’il y ait mal, quand bien même il rencontre des difficultés face à la situation. L’acquisition de l’autonomie et la confrontation à soi est pourtant nécessaire dans le développement du jeune, mais son application est réprouvée, « ce n’est pas bien ». Cela crée un contexte flou qui amène l’enfant hypersensible à bloquer ses émotions afin de créer un accord entre ses vies sociale et familiale. Il saisit l’importance de l’indépendance, mais l’expérimente comme un cadeau empoisonné.
Cela génère un dédoublement de sa vision du monde accompagné d’instabilité et de questionnement. Comme l’individu recherche naturellement un certain équilibre, la tension ainsi créée peut être compensée par le besoin irrépressible d’un choix entre le monde extérieur et le monde intérieur. Et si le choix se porte davantage sur la première option, il peut s’accompagner d’un rejet de soi, de façon plus ou moins marquée. La relation à autrui oscille cependant entre une attirance et une répugnance. Car, bien qu’une tendance soit déterminée, elle n’est pas absolue et définitive, donc fluctue avec son opposée.
En conclusion, l’alexithymie, souvent passagère à l’adolescence, se manifeste par une difficulté à exprimer ses émotions dans un contexte de remise en question identitaire et de recherche d’autonomie. Cette condition peut créer des tensions internes et des conflits relationnels. Les tensions internes se manifestent souvent entre leur besoin de développer une indépendance émotionnelle et la pression de se conformer aux attentes sociales et familiales, entre l’affirmation de soi et le désir de conformité. Les conflits relationnels offrent paradoxalement des opportunités d’apprentissage et de développement émotionnel. En affrontant ces conflits, l’individu peut être amené à mieux comprendre ses propres émotions, à pratiquer des compétences en communication émotionnelle, et à rechercher des stratégies pour une meilleure régulation émotionnelle. Ainsi, ces défis relationnels peuvent catalyser une croissance personnelle et une amélioration de la gestion des émotions.
Nous proposons, le principe de distinction entre les émotions innées et celles influencées par l’environnement. Nous pouvons dire assez facilement que les émotions sont naturelles parce que c’est avec elles que l’individu a grandi et a forgé son système. Lorsque l’émotion apparaît, il n’est question que de soi, que de son expression. C’est une réaction immédiate, mais aussi catégorique et vraie. L’émotion arrive d’une façon spontanée, en général elle survient de façon inopinée, voire surprenante et de ce fait elle peut se montrer envahissante et engendrer un débordement. Les émotions naturelles vont jaillir facilement au détour d’un échange car elles portent sur quelque chose d’intime, dont nous sommes difficilement conscient. L’émotion est en général irrationnelle car elle n’est pas maîtrisée. Nous ne pouvons pas faire semblant, l’émotion est visible. Mais cette subjectivité totale ou sublimante transforme ainsi l’authenticité en sincérité, devient une croyance, c’est-à-dire que la personne est tout à ce qu’elle dit, ressent, et manque de distance pour envisager une quelconque mise en doute.
Mais quant à appliquer ce terme « artificielles » aux émotions, la partie n’est a priori pas gagnée car les gens considèrent qu’elles sont relatives à notre nature d’être humain. Par exemple, les émotions artificielles viennent doubler la compréhension de la situation, c’est-à-dire que leur auteur connaît le problème qui leur est lié, même si c’est seulement préréflexif, et il maintiendra son attitude même si nous le lui avons fait savoir. Différemment, l’individu a appris que certaines émotions sont mal vues dans la société et cherche à faire bonne figure, par exemple le sourire est souvent recommandé, voire obligatoire, malgré un affect triste. Nous pouvons remarquer que les publicités ou les magazines grand public espèrent vendre plus en affichant un personnage souriant. Par contre, nos pièces d’identité exigent des visages sans expression, comme si nous étions plus reconnaissables de cette manière.
Les émotions oscillent entre une régulation des relations et la revendication d’une singularité. Les émotions artificielles sont symptomatiques d’un enjeu entre une confiance envers autrui et une défiance envers un être menaçant et inquisiteur. Cet enjeu entre confiance et défiance peut concerner le jugement et sa crainte, derrière, l’image de soi. Les émotions artificielles révèlent également une lutte interne entre l’authenticité et la performance. D’un côté, l’individu peut aspirer à être véritablement lui-même, à exprimer des émotions sincères. De l’autre, il peut ressentir la pression de se conformer aux attentes sociales, menant à l’expression d’émotions fabriquées ou modifiées. Cette tension entre authenticité et performance peut influencer la manière dont on perçoit son identité, oscillant entre l’aspiration à l’authenticité et la nécessité de se protéger ou de s’adapter à son environnement. Notre rapport aux normes sociales nous amène à adopter certaines attitudes qui nous placent dans un cadre relationnel rassurant et nous évitent d’être mis à nu face à l’autre. Ainsi, dans le dialogue, est déclarée une fin de non-recevoir quand nous ne souhaitons pas nous laisser emmener dans les passages glissants d’un échange authentique avec autrui et chuter dans un gouffre où l’écho se perdrait, solitude de l’être incompris.
Notre réflexion nous amène à penser que les émotions artificielles seraient plus conscientes, dans le sens où elles sont choisies, elles sont catégorisées acceptables ou non acceptables, le but étant de choisir le visage que nous voulons montrer au monde. Elles répondent plus à des injonctions normatives, cela leur donne une dimension rationnelle sur le plan collectif, mais néanmoins une conscience individuelle réduite. Toutefois, leur ambiguïté montre une chose intéressante, c’est qu’il y a possibilité de travailler sur les émotions.
Bien que les deux termes soient souvent utilisés l’un pour l’autre, et d’ailleurs en anglais, un mot très commun les regroupe « feelings », ils sont différents dans leur durée. L’émotion est généralement définie comme une réaction, un réflexe involontaire, mental et physique simultanément, mais dans des proportions variées, que ce soit sur le plan du plaisir ou de la douleur. Cette réaction provoque un bouleversement qui s’accompagne de modifications physiologiques, à des degrés plus ou moins intenses, dans certains cas explosives ou paralysantes. L’émotion est publique, visible pour autrui. Si nous nous référons à la composition du mot, l’é-motion, est un mouvement – motion – tourné vers l’extérieur – ex -, nous pouvons le désigner comme une représentation particulière d’une situation dévoilée à autrui, au monde, sous la forme d’un phénomène corporel.
Si nous voulons faire une distinction avec le sentiment, celui-ci est une sensation, une connaissance ou une conscience peu claire de quelque chose. Le sentiment est d’ordre privé, seul celui qui le ressent le connaît. Par ailleurs, le terme « sentiment » est utilisé à la chasse, il signifie l’odorat du chien et par extension, l’odeur laissée par le gibier. Le chien est donc capable de repérer soit la présence, soit le passage d’autres animaux à partir de la perception des odeurs semées. Le sentiment, en suivant cette analogie entre animal et humain, est donc la connaissance d’une chose grâce à la perception que nous pouvons en avoir. Cette connaissance est plutôt d’ordre sensible et elle correspond à la dimension instinctive du cerveau. La distinction de conscience entre l’émotion et le sentiment n’est a priori pas évidente à faire, cependant la force de l’émotion produit d’une part de plus grands contrastes, donc attire davantage l’attention de la personne émue ou de son entourage, d’autre part, l’émotion pousse à l’action, ce qui n’est pas le cas du sentiment. Nous pouvons en déduire que l’émotion va engendrer plus de conscience que le sentiment car elle est active et positionne nettement la personne dans une situation, bien qu’elle soit sujette à moins de rationalisation à court terme. Par contre, à moyen ou long terme, le sentiment étant plus doux, plus nuancé, moins catégorique et moins impérieux, maintient la personne dans un halo d’impressions, formant une connaissance intériorisée, adjoignant un ressenti à l’information objectivée.
Nous avons vu la plus grande capacité de conscientisation dans l’émotion, qui peut procurer à moyen ou long terme une certaine sérénité par la compréhension du phénomène, autrement dit par la capacité à le moduler et à l’accepter.
Le système émotionnel peut être un moteur puissant comme il peut aussi être un frein ou un obstacle. Par exemple, la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être suffisamment bon, peut nous amener à refuser une promotion ou à ne pas oser demander de l’aide. À l’inverse, la réussite d’un projet procure de la satisfaction, de l’enthousiasme, et encourage à s’engager dans de nouvelles actions. Les émotions doivent être distinguées cependant de la passion, qui est un processus plus long, plus persistant. Cette dernière transcende le fonctionnement de la personne car elle est durable, cohérente, permet de donner un sens à son existence et la met à l’épreuve en la soumettant à une alternance de diverses émotions contradictoires, à des degrés forts ou intenses. L’émotion et la passion s’opposent donc aussi par la complexité et la détermination à s’engager dans un projet. Ce qui revient à dire que les émotions sont certes des moments forts de la psyché, mais le fait qu’elles sont éphémères ne permet pas de les considérer en tant que telles comme des moteurs existentiels, elles doivent s’intégrer dans un paradigme, un système un minimum élaboré, une passion, pour véritablement être considérées à l’origine de projets dignes de ce nom. Elles restent néanmoins la pointe de l’iceberg, les signes ou symptômes de ce qui meut une personne ou l’introvertit.
Il existe six catégories d’émotions basiques reconnaissables par l’expression faciale et des attitudes caractéristiques, parfois universelles. Certains aspects peuvent être plus culturels, mais nous n’intégrerons pas ces différences dans notre réflexion ici. Il s’agit de la joie, la peur, la colère, la tristesse, du dégoût et de la surprise. A cette liste, nous souhaitons rajouter l’émotion de la honte qui nous paraît être assez caractéristique pour ne pas être considérée comme un simple dérivé. Nous expliquerons pourquoi dans sa description. Elles peuvent être composées de plusieurs autres émotions ou sentiments et peuvent présenter des aspects tantôt majoritairement physiques, tantôt mentaux. Ainsi, la surprise peut être suivie de tristesse, de joie, de mélancolie ou d’euphorie; dans tous les cas, son expression physique est reconnaissable. Pensons aux pleurs et aux larmes de joie qui peuvent nous induire en erreur, mais cela n’empêche pas de jouer le jeu de la reconnaissance des émotions. Par ailleurs, certains sentiments ou motifs d’action sont souvent appelés des émotions parce qu’ils s’accompagnent de mouvements typiques d’âme et de corps : il s’agit de l’amour et du désir. De plus, certains affects peuvent alterner, comme l’amour qui peut passer d’une humeur joyeuse à la douleur, au ressentiment ou à la frustration. Tandis que la honte se confond avec la tristesse car elle implique un repli hors du monde, de l’impuissance et parfois même la perte de la sensation d’intégrité.
Ce chapitre présente une tendance psychologique, ce qui n’est pas incohérent dans une réflexion philosophique sur notre rapport aux émotions. En effet, il s’agit à un moment donné de nommer ce qui se produit en nous, afin de le comprendre et d’approfondir la réflexion à ce sujet. Observer les mouvements de notre corps ou les expressions de notre visage lors des différentes occurrences constitue un point de départ pour prendre du recul par rapport aux émotions. Puis, grâce à un entraînement, il est possible de se représenter l’émotion mentalement, sans pour autant en transmettre les effets au corps. Dernier point, notons qu’une exception sera faite dans le repérage qui vient juste après, pour la surprise et le désir, pour lesquels nous présenterons le côté négatif et le côté positif de manière égale.
Enfin, nous nous contenterons ici de citer quelques exemples typiques du rapport à l’émotion dans le quotidien, tandis que nous aborderons le sujet du point de vue de la pratique philosophique dans le chapitre 4.
La joie est un état de bien-être qui résulte de la satisfaction d’un désir, de la réalisation d’un objectif, ou de l’absence d’obstacles internes et externes, liés à la personne ou à son environnement (mauvaise santé, conflits) qui pourraient autrement entraver notre état d’esprit positif. Elle se manifeste par une sensation de gaieté et de bonne humeur, elle génère le rire. Elle renforce notre énergie, notre motivation et notre confiance en nous-mêmes. Elle survient lorsqu’un objet ou une situation correspondent à notre idée ou à notre compréhension, lorsque nous agissons de manière positive, ou lorsque nos attentes sont satisfaites, créant ainsi une harmonie. La joie est un état de bien-être présent qui permet de regarder l’avenir avec optimisme. Si nous considérons la joie dans son acception la plus évidente, elle est davantage souhaitée que la tristesse pour tous les bénéfices qu’elle peut apporter en termes de confort moral et de potentiel de réalisation.
Manifestations de l’Émotion
Corporellement, la joie se manifeste par des signes évidents : les yeux sont ouverts et détendus, et les sourcils sont en position naturelle. La bouche est légèrement ouverte avec les commissures des lèvres détendues ou relevées dans un sourire. Si la personne ressent une grande joie, des frissons peuvent alors parcourir le haut de son torse. D’un point de vue physiologique, le rythme cardiaque peut s’accélérer, l’énergie augmente, des frissons peuvent survenir lors d’une joie intense. Une joie ressentie de manière fréquente est susceptible d’améliorer la santé globale en réduisant le stress et en renforçant le système immunitaire.
Intellectuellement, la joie induit une vision positive, voire plus objective de la vie ; elle renforce notre estime personnelle, notre bien-être, et notre ouverture d’esprit. Elle est le moteur de notre créativité et de notre curiosité pour le monde. Elle peut aussi nous aider à surmonter les obstacles en nous fournissant la motivation et la résilience nécessaires pour affronter les défis. Pour beaucoup, la joie a une dimension spirituelle importante, étant associée à un sentiment de connexion avec quelque chose de plus grand que soi, que ce soit à travers la nature, l’art, la religion, ou la méditation. Elle peut offrir un sens de paix, d’émerveillement et de gratitude profonde.
Sur le plan social, la joie est contagieuse : voir quelqu’un exprimer sa joie rend généralement heureux joyeux à notre tour. Elle joue un rôle crucial dans la construction et le maintien des relations, en favorisant l’empathie, la compréhension et la coopération.
Naturellement, on va désirer ressentir la joie, donc entreprendre des actions pour l’obtenir. Il existe différentes façons d’orienter sa vie pour favoriser l’émergence de la joie. Par exemple, la pratique régulière de la gratitude peut nous aider à reconnaître et à apprécier les aspects positifs de notre vie, même dans les circonstances difficiles. Ainsi adopter une attitude positive : c’est essayer de voir le bon côté des situations et maintenir une attitude optimiste peut influencer notre expérience et nous ouvrir à la joie, même dans les défis. D’une manière plus spécifique, la pratique de la pleine conscience et la capacité à être totalement présent dans le moment peuvent aider à apprécier les plaisirs simples et à vivre des moments de joie pure, sans les filtres du passé ou de l’avenir. Cela aide donc au développement de la satisfaction liée à des plaisirs simples et à valoriser des choses banales ou parfois vues naturellement comme négatives. Le proverbe le dit, à toute chose, malheur est bon.
Le fait d’établir des relations significatives et passer du temps avec des êtres chers est une source probablement importante de joie ; il se peut que certains conflits proviennent justement du fait que le temps partagé n’est pas suffisant ou de bonne qualité. En l’occurrence, le partage d’expériences, l’expression de l’amour et le soutien mutuel renforcent les liens sociaux et favorisent le bien-être. Une autre option est de s’engager dans des activités qui nous passionnent ou nous intéressent, que ce soit des hobbies, de la création, l’apprentissage, le sentiment d’accomplissement et la curiosité sont des sources courantes de joie. Également, aider les autres et contribuer de manière positive à la communauté procurent un sentiment d’utilité et d’intégration ou d’appartenance.
Enfin, prendre soin de soi maintient une bonne santé corporelle et mentale, ce qui joue un rôle crucial dans notre homéostasie. Une alimentation équilibrée, l’exercice physique régulier, un sommeil suffisant et la gestion du stress peuvent améliorer notre humeur et notre bien-être général.
La joie trouve écho dans une variété de sensations et d’états d’esprit :
La double face de la joie
La joie peut néanmoins être décevante pour trois raisons principales, auxquelles s’agrègent d’autres un peu plus insidieuses. Tout d’abord, sa courte durée peut être frustrante, on aspirerait naturellement à son prolongement. Une autre raison est qu’il est possible de se faire une fausse idée d’une situation et de se réjouir prématurément, pour ensuite découvrir son erreur, et voir la joie laisser place à la désillusion. Enfin, de manière plus sombre, il est également possible de ressentir de la joie en ayant de mauvaises intentions, en pratiquant le mal, c’est ce que nous appelons le sadisme. Nous pourrions apporter un autre bémol à la quête de la joie : si nous pouvons prendre des mesures pour rendre notre vie plus joyeuse, la nature spontanée de l’émotion signifie que nous ne pouvons pas la «forcer« ou la garantir. La joie serait alors à rechercher dans l’acceptation, dans la capacité à lâcher prise, donc dans la diminution du désir de contrôle, et dans l’acceptation des choses telles qu’elles sont.
Parfois, la joie peut apparaître en alternance avec la tristesse dans une tendance maniaco-dépressive. Dans ce cas, elle n’est pas considérée comme une émotion « vraie », mais plutôt comme un soulagement, une compensation, ou une sorte d’euphorie de la convalescence. Elle alterne avec des émotions tristes, provoquant des hauts et des bas dans l’humeur, correspondant à des moments agréables et d’autres quelque peu douloureux. Toutefois, il convient de souligner que si la joie peut rendre une personne plus bavarde, il s’agira plutôt de l’excitation. En l’occurrence, les états d’excitation sont souvent associés à la joie, mais ils sont en réalité les pics d’une humeur instable, constituée aussi de moments de type dépressif.
La langue française recense plusieurs expressions plus ou moins poétiques sur la joie : « pétiller de joie », ce qui fait briller la personne et éclabousse son environnement ; « voir la vie en rose », l’expression chantée illustre la légèreté et la facilité.
La peur est un réflexe de recul ou de défense face au danger, qu’il soit réel ou potentiel. Nous avons conscience que notre intégrité physique ou psychologique est menacée. Elle engendre une sensation d’alerte qui prépare le corps à réagir face au danger. Cette réaction peut être ressentie comme un coup de stress aigu, accompagné par une urgence de fuir ou de combattre. A des degrés moindres, il peut s’agir d’une incertitude quant à une situation, une personne, un objet. La peur peut donc avoir différentes origines de nature physique, psychologique, morale ou existentielle. Il est parfois difficile de déterminer la cause de la peur, ce qui rend cet état plus général et indistinct. De plus, la peur peut se manifester sous différentes formes : la colère en guise de défense, la honte en cas de fuite, ou la solitude pour se protéger. Cela peut expliquer, par ailleurs, pourquoi certaines personnes sont nerveuses quand elles se sentent peu en contrôle, car elles imaginent de nombreuses possibilités d’être confrontées à une situation inconfortable. Il s’agit d’un sentiment plutôt que d’une émotion, dans sa dimension existentielle. En effet, la peur est liée à la conscience de notre mortalité et à la part inconnue de l’existence, à l’intuition d’une liberté dont on ne sait pas quoi faire. Le temps, l’espace, le vide ou l’infini, sont des sources de peur ou d’anxiété, des questions sans réponses, ou insatisfaisantes, ou peu rassurantes.
Manifestations de la Peur
Cette émotion se manifeste à travers un spectre étendu de sensations et de réactions. De la contraction subtile des yeux d’un individu anxieux à l’élargissement figé du regard face à l’effroi, la peur sculpte notre expression corporelle, traduisant avec fidélité, pour l’œil averti, l’intensité de notre ressenti. Le visage peut devenir le théâtre où les traits se plissent ou s’étirent, traduisant une gamme allant de la nervosité à la panique. Si quelqu’un est préoccupé, l’espace entre ses yeux se contracte et des rides profondes se forment. Cette personne peut également avoir un comportement agité. En cas d’effroi, les traits du visage peuvent plutôt s’étirer, la bouche former un « o », les yeux s’élargir et se fixer sur un objet ou un lieu, tandis que les sourcils se relèvent vers le haut. Par suite, la peur provoque toute une série de réponses physiques : accélération du rythme cardiaque, hausse de la tension artérielle, dilatation des pupilles, et parfois des réactions posturales, comme trembler ou crier. Il arrive que nous portions nos mains au visage, sur les joues, ou devant la bouche. Ces réactions sont le résultat de la libération d’adrénaline, préparant le corps à l’action ou la stoppant.
Sur le plan intellectuel, en cas d’intensité modérée, mais potentiellement durable, la peur peut entraîner des mécanismes de réaction tels que des pensées toutes faites, de l’entêtement ou des certitudes. La peur construit des remparts de pensées, forgeant des certitudes comme des armes contre l’inconnu. Elle nous pousse à ériger des bastions mentaux, non seulement pour nous protéger, mais parfois aussi pour éviter d’affronter la vérité, que pourtant nos appréhensions nous annoncent. Cette réaction défensive révèle notre besoin instinctif de sécurité, mais entrave aussi notre capacité à profiter de la vie et à nous adapter aux incertitudes et aux risques. La peur manque souvent de verbalisation et est parfois masquée par des besoins, qui ressemblent à des désirs, et ceci pour tenter de garder l’apparence de rationalité. Nous retrouvons une autre manifestation – muette – de la peur chez les personnes silencieuses, celles-ci ont souvent peur de s’exposer ou de voir leurs idées contredites ou critiquées. Mais elle peut aussi troubler le jugement et conduire à des décisions précipitées ou irrationnelles. De fait, sur le plan social, la peur entraîne l’isolement si l’individu voit ses craintes incomprises.
La peur trouve des dérivés dans :
De façon positive, la peur peut étonnamment aiguiser les sens, augmenter la vigilance et la capacité à percevoir des menaces potentielles. Elle nous protège contre les dommages corporels ou mentaux en déclenchant une réaction instinctive de défense ou de fuite, qui assure notre survie. D’un point de vue encore plus positif, la peur est parfois recherchée pour pouvoir vivre des émotions fortes, comme dans le train fantôme ou la chute libre, où nous cherchons à défier ce que nous craignons le plus, le vide ou la mort, dans un cadre relativement sûr. Pour certains sportifs de haut niveau, la quête de danger peut être encore plus stimulante, car ils cherchent constamment à repousser leurs limites et testent parfois leurs qualités techniques et sportives dans des conditions extrêmes. Dans le contexte social, en cas de catastrophes, de périls majeurs ou de guerre, cette émotion génère un sentiment de solidarité face à un danger commun, met à l’œuvre l’altruisme.
Expressions : « Craindre le pire », relate l’inquiétude générant une pointe d’adrénaline ; « le sang se glace dans les veines », la peur donne au corps l’aspect cadavérique.
La colère est une énergie explosive qui peut se manifester par des paroles agressives, des actions physiques violentes, ou des pensées négatives intenses. Elle est souvent motivée par un sentiment d’injustice ou de frustration, et peut même résulter d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique. Bien que la colère puisse être soudaine, elle peut également être un comportement récurrent, qui s’inscrit dans un système de pensée justicier ou victimaire. La personne mobilise toutes ses forces pour affronter son adversaire ou son agresseur, cherchant soit à rétablir la justice, soit à se protéger. Certaines personnes peuvent contenir une colère sourde, qu’elles répriment par un réflexe de censure. D’autres éprouvent une colère blanche, qui est hyper régulée et se manifeste par des mots peu nombreux, mais intenses. Enfin, la colère rouge est plus impulsive et moins réfléchie, souvent accompagnée de paroles incohérentes ou irrationnelles. Dans tous les cas, la colère place la personne dans un état d’impuissance et d’immédiateté, et engendre un état de stress pouvant devenir récurrent, voire permanent. Elle peut également provoquer diverses émotions telles que la culpabilité, la honte, le dégoût ou la tristesse.
Expression corporelle : la colère se manifeste par une bouche fermée et contractée, des commissures des lèvres abaissées, des rides profondes entre les yeux et des sourcils descendus sur la zone médiane du visage. La voix atteint un niveau sonore très élevé. Cela vise à être entendu, imposer sa présence, et à libérer la tension intérieure. Les traits crispés peuvent paraître antipathiques, mais la colère peut aussi rendre une personne belle par son élan passionnel, poétique et sincère. Cependant, l’intensité de la colère attire plus ceux qui cherchent des sensations fortes que ceux qui ont une gestion émotionnelle stable. Au-delà de l’expression faciale, la colère induit aussi une accélération du rythme cardiaque, une augmentation de la pression sanguine et la libération d’adrénaline. Ces réactions préparent le corps à l’action, soit pour affronter la source de la colère, soit pour s’en éloigner. Les mouvements peuvent devenir plus saccadés, agressifs, ou accusateurs.
Paradoxalement, la colère peut aussi amener certaines personnes à s’isoler ou à se retirer des situations sociales. Ce comportement peut être une stratégie pour éviter l’escalade ou parce que la personne reconnaît son incapacité à gérer ses émotions de manière constructive dans l’immédiat. La colère altère la manière dont une personne interagit avec son entourage. Elle devient moins coopérative, plus confrontante, ou montre de l’indifférence là où elle aurait normalement fait preuve d’empathie ou de soutien.
Malgré ses effets négatifs, la colère peut offrir certains avantages notables. Premièrement, elle peut servir à réajuster les dynamiques de pouvoir, permettant ainsi une équité temporaire dans les interactions ; c’est utiliser l’explosion émotionnelle pour faire peur, ou faire taire l’autre. De plus, elle peut efficacement signaler des problèmes urgents nécessitant une attention immédiate, provoquant une prise de conscience collective ; cela vise à sensibiliser les autres, les arrêter dans leur routine personnelle. Enfin, la colère peut incarner un moment de prise de conscience personnelle, révélant des attachements nuisibles dont on cherche à se libérer activement. Elle consiste à utiliser la colère et le ressentiment pour justifier une fuite ou une diversion, permettant de s’extraire d’une situation perçue comme interminable et sans issue.
Sur le plan intellectuel, la colère est déclenchée par un événement désagréable qui concentre l’attention sur une chose, impose notre être et nous pousse à agir pour rétablir la justice. Cette émotion place l’individu dans une situation de rapport de force, souvent subjectif, où il cherche à rétablir une injustice ou une incompréhension. Elle peut amener le sujet à beaucoup verbaliser, en particulier dans le cas de la colère rouge.
La colère peut se manifester sous diverses formes, telles que :
Expressions : « être rouge de colère », le concentré d’énergie se fait au niveau du cœur et du visage, mais pas de l’esprit ; « s’emporter dans une terrible colère », la colère est hors de contrôle et rend aveugle.
La tristesse est associée à une perte, une déception, un sentiment d’impuissance, à l’incapacité de réaliser un souhait ou de jouir d’un bien. Elle se manifeste par une baisse d’énergie et de motivation. La tristesse, bien qu’éphémère en tant qu’émotion, peut évoluer en un sentiment persistant ou un état de dépression en cas de perte d’un être cher, d’un objet important, ou lorsque nous sommes contraints de renoncer à une action en raison d’une impossibilité. Elle revêt une dimension existentielle lorsqu’elle se traduit par une sorte de dépression, de perte du goût de la vie et des plaisirs intellectuels. La tristesse entraîne un repli sur soi plus ou moins durable, avec l’impression que le monde est décevant et qu’il faut s’en détacher. La personne s’enferme dans l’illusion de l’auto-protection, alors que le repli entraîne lui-même la tristesse.
Sur un plan positif, la tristesse peut entraîner une forme de complaisance envers soi-même, où un ensemble de pensées et d’actions crée un système d’auto-justification. Nous nous attachons à cette cohérence et ne cherchons pas à en sortir, car elle forge une image de soi victimaire qui devient une façon d’exister. C’est une façon de faire face aux péripéties de la vie et qui peut motiver à aider les autres dans le cadre d’un métier.
Son expression corporelle
Nous remarquons que les commissures des lèvres sont abaissées et que ses sourcils sont légèrement inclinés vers le bas au niveau de la zone médiane. Son menton est également orienté vers le bas. De plus, ses épaules sont tombantes et ses bras pendent le long de son corps, ce qui laisse transparaître une certaine inertie. Nous associons généralement les pleurs à la tristesse, mais ils peuvent également dépasser cette simple expression émotionnelle. Il semble souvent survenir lorsqu’il y a une difficulté à verbaliser des émotions intenses, servant d’exutoire lorsque les mots font défaut. Les larmes peuvent signaler non seulement une souffrance ou une douleur, dans un sens élargi englobant tout stress émotionnel intense, mais également des moments de joie, de soulagement, ou d’empathie. Ainsi nous pourrions supposer que pleurer invite à la compassion et à la connexion humaine, agissant comme un appel muet à la compréhension et au soutien. Dans cet échange non verbalisé, le pleur réaffirme notre besoin de liens sociaux, rappelant à nos congénères notre capacité collective à ressentir et à réagir avec bienveillance face à la vulnérabilité d’autrui.
Son fonctionnement intellectuel
La tristesse se caractérise souvent par une vision d’un monde gris, indistinct, trop vaste, agressif ou écrasant. Cette perception nous empêche d’agir, de réaliser notre potentiel et de profiter de nos capacités. Cette tendance conduit au repli sur soi, à l’inaction et à l’incapacité de juger nos propres actions. Par conséquent, la capacité à percevoir la beauté devient secondaire, la personne se concentrant davantage sur une pensée introspective et égocentrique, laissant peu de place à l’appréciation esthétique.
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Expressions : « avoir la gorge serrée », difficulté à parler et à déglutir ; « broyer du noir », d’origine artistique, nous assombrissons tout ce que nous voyons.
Le dégoût correspond à un rejet, une aversion physique ou psychologique envers un objet, de la nourriture ou une personne, perçus comme nuisibles ou radicalement différents. C’est aussi une réaction de mise à distance d’un objet jugé indésirable pour son impureté. Le dégoût peut être provoqué par une connaissance préalable négative d’un aspect incompatible avec notre confort moral, ou, à l’inverse, survenir après avoir satisfait un désir excessif. Ou, au contraire, il peut également survenir après avoir satisfait un désir excessif. Dans le premier cas, nous rejetons cet aspect possible, qui pourrait être le nôtre, ironiquement. Dans le deuxième cas, l’avidité a entraîné un excès dans l’utilisation ou la consommation, et par conséquent une perte de goût pour la chose en question.
Le dégoût se distingue de la peur en ce qu’il est lié à la notion de déplaisir, tandis que la peur est associée au mal. Le dégoût peut entraîner une sensation de solitude lorsqu’il se transforme en nausée existentielle. La nausée nous renvoie à notre insignifiance, notre finitude, ou notre impuissance. Nous avons du mal à donner un sens à l’existence, à donner de la substance aux autres et à nous-mêmes. Tout devient problématique, et nous rejetons les actions des autres ainsi que les nôtres. Nous avons du mal à faire du lien, le vide s’offre à nous. Mais ici le vide est source de dégoût, nous donne le vertige, la nausée. Nous sommes face à notre néant.
Le dégoût envers une personne peut être associé à un ressentiment. En nous détournant de cette personne, nous cherchons à éviter que l’image d’une faiblesse excessive ou d’un manque d’amour puisse s’ancrer durablement en nous à la suite d’une relation malheureuse. Nous essayons d’effacer cette personne de notre vie, en refusant de la nommer ou en utilisant des termes dédaigneux ou distants lorsqu’il est nécessaire de la mentionner, que ce soit directement ou indirectement. Le dégoût nous pousse à rejeter autrui et souligne clairement la différence entre lui et nous. Même si cela peut être une réaction instinctive, cela nous donne un certain pouvoir d’affirmation et nous permet de choisir notre camp. Au minimum, cela nous aide à prendre conscience de ce que l’autre représente pour nous et de nous en servir comme repère dans l’existence.
Le dégoût se manifeste par la bouche qui se crispe légèrement, les dents devenant visibles, tandis que les commissures des lèvres s’abaissent. Les sourcils se froncent sur la zone médiane du visage. Le regard peut soit se fixer, hypnotisé, sur l’objet répugnant, soit s’en détourner. Le corps peut réagir en se mettant en retrait ou à distance, en reculant légèrement la tête ou en projetant les mains vers l’avant.
Le fonctionnement intellectuel du dégoût implique une évaluation rapide des informations sensorielles perçues par l’individu. Cette évaluation est souvent effectuée de manière inconsciente et basée sur des schémas mentaux préétablis. Par exemple, nous estimons qu’un comportement est immoral ou qu’un animal a un aspect repoussant. Le dégoût peut être influencé par des facteurs personnels, familiaux, sociaux ou culturels.
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Aspect positif : le dégoût permet d’affirmer les tendances de notre sensibilité et de mieux comprendre nos préférences. Nous pouvons ainsi mieux organiser nos actions et orienter nos choix vers des domaines qui nous attirent, ce qui nous permet de nous réaliser davantage.
« C’est dégoûtant » est une expression impersonnelle et morale pour se dissocier de l’objet scandaleux. « La nausée » désigne un spasme tendant à rejeter l’aliment dérangeant ou une expression existentielle caractérisant l’angoisse à propos de la vie.
La honte se manifeste souvent lorsque nous nous sentons différents des autres, inférieurs ou ridicules. Elle est souvent liée à une dévalorisation de soi, à un rejet de notre être que nous percevons comme incapable d’être aimé. La honte est autoréférentielle et anticipe le jugement des autres. Nous avons honte de nous-mêmes. Parfois, nous cherchons à faire honte à autrui, ce qui reflète une relation à soi marquée par la dévalorisation, la victimisation ou le blâme. La honte peut surgir lorsque nous réalisons que nos actions sont insignifiantes, erronées, ou ne répondent pas à nos intentions. Elle peut également survenir lorsque nous nous sentons exclus ou avons l’impression de ne pas être à la hauteur.
La honte est facilement confondue avec la culpabilité, car la distinction entre les deux est souvent floue. La différence principale réside dans le rapport entretenu par la personne avec les autres pour la honte, et avec elle-même pour la culpabilité. Dans le cas de la honte, nous avons l’impression de devoir satisfaire des attentes ou de suivre un modèle imposé par autrui. Dans le cas de la culpabilité, nous reconnaissons une maladresse ou une faute que nous avons commise et nous regrettons notre comportement. Dans les deux cas, nous cherchons souvent à compenser notre sentiment de honte ou de culpabilité en adoptant un comportement de non-agir.
La honte se manifeste par un corps légèrement penché vers l’avant, la tête inclinée vers le bas. Les yeux sont fixés sur les pieds, et les joues sont teintées de rouge. Les mains sont croisées devant ou derrière, et il y a une légère tension dans les épaules. Le corps se balance doucement d’un côté à l’autre, dans une tentative d’exploration des sensations corporelles, ou alors est recroquevillé sur lui-même en position assise. Il y a une impression de vulnérabilité, de timidité, voire d’embarras, qui se manifeste à travers la posture et les gestes.
Le fonctionnement intellectuel de la honte nous amène à prendre conscience que notre perception de la réalité et de nous-même n’est pas alignée. Nous avons tendance à sous-estimer notre valeur personnelle, ce qui nous conduit à douter de notre capacité à agir efficacement. Cette distorsion mentale crée une image négative de nous-mêmes, nous faisant sentir inexistants, invisibles ou illégitimes. En outre, la honte peut engendrer des pensées obsessionnelles et auto-critiques, renforçant notre sentiment de dévalorisation et d’inadéquation. Elle peut également nous pousser à éviter les situations sociales ou professionnelles où nous pourrions nous sentir jugés, limitant ainsi nos opportunités de croissance personnelle et professionnelle. La honte peut par conséquent créer un cycle vicieux où le manque de confiance en soi alimente des comportements d’évitement, qui renforcent à leur tour la perception négative de soi.
Elle trouve des dérivés dans :
La honte peut avoir un intérêt positif dans notre comportement. En effet, en tant qu’émotion sociale, elle régule nos actions et nous pousse à adopter des comportements conformes aux normes et aux valeurs de la société. La honte contribue à la cohésion de groupe en favorisant le respect des règles communes et en renforçant les liens sociaux. Ainsi, la honte rappelle à l’individu que ses marges d’action et de comportement sont limitées par l’existence et la sensibilité des autres.
L’expression « à ma grande honte », signifie avouer la contradiction entre son comportement et ses propres principes ; « toute honte bue », désigne le fait d’agir sans se soucier de l’aspect vil du geste.
La surprise survient lorsqu’un événement ou un changement inattendu ou soudain se produit, remettant en question notre perception, nos représentations ou nos attentes. Elle attire l’attention sur un brusque changement de l’environnement, elle provoque l’adaptabilité. La surprise peut nous empêcher d’agir normalement, de porter un jugement pertinent, ou encore libérer des mouvements naturels souvent réprimés, consciemment ou inconsciemment. Dans certains cas, cela peut nous amener à faire quelque chose qui ne nous ressemble pas ou qui n’est pas en accord avec notre personnalité habituelle. Bien que brève et transitoire, la surprise est souvent accompagnée d’autres émotions telles que la joie, la colère, la tristesse ou la honte. Comparée aux autres émotions, la surprise est davantage circonstancielle. La surprise est un état d’excitation, de saisissement ou d’étonnement, qui se produit uniquement en réponse à un événement particulier. La surprise peut être perçue comme à la fois positive et négative. À la question « Aimez-vous les surprises ? », la réponse est souvent « ça dépend ». Certaines personnes ne sont pas très déstabilisées par l’inconnu, tandis que d’autres n’aiment pas perdre le contrôle, qu’il s’agisse d’une bonne ou d’une mauvaise surprise.
La surprise négative, l’accident, est un événement inattendu qui a des conséquences fâcheuses. Nous ne pouvons pas contrôler la situation et nous nous trouvons dans divers degrés d’incapacité, avec une perte de moyens physiques, psychologiques, financiers ou matériels.
La surprise positive est le cadeau. Cela peut être un objet qui nous fait plaisir, en raison de son adéquation avec nos centres d’intérêt, de son lien avec notre identité ou de ses perspectives inattendues et intéressantes. Dans tous les cas, cela satisfait nos désirs et nous motive.
Dans son expression corporelle, la personne peut avoir une posture ouverte et détendue, les sourcils sont relevés, les yeux sont légèrement plissés, souriants, la bouche est légèrement ouverte en forme de « O » ou de « A ». Les épaules sont basses et détendues, les bras sont ouverts et légèrement éloignés du corps, les gestes sont doux et fluides. Il arrive que l’expressivité soit plus démonstrative et plus agitée et soit même accompagnée d’une poussée d’adrénaline. En ce qui concerne la surprise négative, la personne peut avoir une posture fermée ou contractée, les sourcils sont froncés, la bouche est soit crispée, soit en forme de « A », soit les épaules sont hautes et tendues et les gestes saccadés, soit le corps est passif et mou sous le choc.
Le fonctionnement intellectuel peut se diviser en deux réactions : soit nous identifions rapidement la chose comme étant bénéfique pour nous, soit nous sommes pris au dépourvu et subissons un choc plus ou moins important. Dans ce dernier cas, nous avons plus tendance à nous sentir confus et à refuser la situation qui se présente à nous, adoptant dans les cas extrêmes une forme d’inconscience, de mode de survie. Il est intéressant de noter que la surprise positive ne suscite généralement pas beaucoup de questions, tandis que celle que nous allons juger plutôt négative nous pousse plus à nous interroger sur ce qui se passe. Dans les deux cas, seule la capacité de distanciation permet d’analyser la situation, et notre rapport à elle, pour en tirer des enseignements.
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Parmi les expressions, on peut trouver la « surprise du chef », sauf ironie, c’est la cerise sur le gâteau, l’instant ultime de la représentation ; « ne pas revenir de sa surprise », nous sommes dépourvu de moyen de réponse, nous nous sentons bête.
A priori, il s’agit d’un sentiment, qui perdure dans le temps, mais qui génère une telle variété d’émotions, telles que le coup de foudre, la joie et la tristesse, qu’il est souvent confondu avec elles. Pour rester fidèle à ce sens commun, nous avons choisi de traiter l’amour comme une émotion. L’amour nous attire vers une personne ou une chose, accompagné du désir de réconfort et de plénitude que nous pensons qu’elle peut offrir. Nous souhaitons nous fondre avec l’autre, exister à travers et uniquement pour lui. Nos pensées sont focalisées sur lui ou se distraient facilement pour revenir à lui. L’amour est généreux, il nous pousse à vouloir plaire et à nous surpasser. C’est également un sentiment considéré en religion comme porteur de la moralité la plus élevée et du souci de soi et des autres en tant que concept supérieur. L’amour peut osciller entre la joie et la mélancolie, l’unicité et le manque, et provoquer des sentiments de délicatesse ou de jalousie. L’amour peut être critiqué car il tend vers l’obsession, nous porte à vouloir posséder et peut faire oublier ce qui est important pour nous ou pour les choses que nous devons accomplir. Il peut être éduqué, voire cultivé, pour recouvrer une certaine liberté et un certain détachement, nous permettant ainsi de le vivre plus sereinement, voire de manière plus transcendantale. L’amour prend la forme de sentiment lorsqu’il accompagne une démarche morale, dictant les choses bonnes à faire et invitant à raisonner sur le mal qui peut être facilement commis.
La comparaison avec la pratique de la pleine conscience apporte des éléments de réflexion intéressants : dans l’état amoureux, une dynamique particulière se manifeste, c’est le fait de s’arrêter pour penser à l’autre. Ce n’est pas une pause dans l’activité quotidienne, mais une immersion profonde dans la réflexion sur l’être aimé. On se perd dans des pensées sur la relation, les moments partagés, et les qualités de l’autre. Ce processus implique souvent de rêver à l’avenir, de méditer sur les émotions ressenties, et de dialoguer intérieurement avec ses propres sentiments et désirs. Cet arrêt dans le temps est un espace dédié à l’appréciation et à la connexion émotionnelle. L’amour plonge dans la subjectivité, et déconnecte du monde.
Parallèlement, dans la pratique de la pleine conscience, un processus similaire se produit, bien que plutôt orienté sur l’intériorité de la personne. Ici, l’arrêt est un moment de retrait du tumulte quotidien pour se concentrer sur l’instant présent. Il s’agit d’observer ses pensées, ses émotions, et son environnement sans jugement, permettant ainsi une connexion avec soi-même. Cette pause méditative crée un espace pour la réflexion intérieure, la compréhension de soi et la reconnaissance des sensations et des émotions en cours. Bien que la médiation de pleine conscience puisse être vue comme une déconnexion du monde, elle le fait entrer dans une sphère désubjectivée. En effet, cette pratique ouvre le regard à 360° et permet à l’esprit d’être traversé par des images et des pensées.
L’analogie entre ces deux états réside dans l’importance de cet arrêt, de cette pause. Dans les deux cas, c’est un moment de réflexion, de connexion intérieure, et d’ouverture émotionnelle. Dans l’amour, cet arrêt favorise la connexion avec l’autre, tandis que dans la pleine conscience, il favorise la connexion avec soi.
Le langage corporel est subtil et complexe. Les gestes sont attentionnés, l’attitude chaleureuse, et la personne est pleinement présente à l’autre, que ce soit son âme sœur ou autrui, dans une mesure différente. Ou bien, la personne est distraite. Reconnaître l’amour dans les traits d’un visage peut être difficile, mais le regard peut trahir nos émotions par sa brillance, ou au contraire son échappement, ou encore une attitude distraite. D’autres signaux existent également, mais ils sont variés, nombreux et intimes, la dimension privée fait de l’amour un sentiment.
Le fonctionnement intellectuel développe une capacité à prendre le temps et l’espace nécessaires pour accomplir nos tâches, nous permet paradoxalement de prendre du recul. Cette attitude bienveillante, parfois considérée comme un don de soi, nous aide à aborder les situations avec plaisir ou curiosité plutôt qu’avec désagrément. Bien qu’elle puisse sembler égocentrée, cette dimension nous permet de rayonner et de donner l’exemple.
L’amour trouve des dérivés dans :
Le principal inconvénient du phénomène amoureux est qu’il focalise l’attention sur une personne ou un objet spécifique, au détriment du reste. Cette concentration excessive peut conduire à des difficultés et à une incohérence, empêchant toute réflexion de s’appliquer aux autres domaines. En somme, cela coupe de la réalité et peut être en contradiction avec la raison.
L’amour est caractérisé par diverses expressions : « pour l’amour de » ou « par/avec amour », la personne est mue fortement à agir vers un but à haute valeur, ou avec moult attentions. « On ne badine pas avec l’amour », c’est une chose à ne pas bafouer, sous peine de retour du bâton.
Le désir est un état de tension qui n’est pas considéré comme une émotion à proprement parler. Toutefois, il est lié à des émotions en amont ou en aval, ce qui le rend inévitable dans notre propos. Le désir se compose de trois dimensions : l’attente ou expectative, qui correspond à la volonté d’obtenir quelque chose et à l’excitation plus ou moins forte face à la possession à venir ; le manque à pallier, qui peut entraîner une souffrance dans la durée, surtout en l’absence de satisfaction ; et enfin, la recherche de création de réalité pour répondre au manque. C’est grâce à l’impulsion du désir que les actions sont accomplies et que des projets sont réalisés. Le désir est similaire à l’émotion en ce sens qu’il est souvent soudain et incontrôlable, révélant ainsi un fonctionnement individuel et un système de représentations du monde.
Lorsque nous désirons quelque chose, c’est avant tout pour la signification que nous lui attribuons. Même si nous désirons simplement un plat au restaurant, cette envie n’est pas une question de survie. Le désir de manger est en réalité lié à une imagination, une association de perceptions qui se transforment en un ordre pour un certain plat. Cette phase finale du désir est consciente, elle est formulée, même si son origine ne l’est pas, ou rarement.
Le désir est constitutif de notre être et diffère du besoin, qui est physiologique et primaire. L’envie, quant à elle, se rapproche du désir, mais reste une forme éphémère, moins intense et plus consumériste. Ces trois types d’appétence sont à distinguer pour développer une meilleure compréhension de ce qui nous meut. Ils sont souvent hiérarchisés dans la pyramide de Maslow qui place à sa base les besoins, en particulier primaires, ce que nous allons appeler les envies au niveau intermédiaire et les désirs à sa pointe supérieure. Ceci montre un rôle afférent avéré, mais dont la réalisation n’est pas nécessairement dans cet ordre. Un proverbe dit qu’on ne pense pas le ventre vide, dans lequel nous reconnaissons facilement cette graduation. Mais, si nous observons les gens autour de nous, nous pouvons au contraire remarquer que certains besoins sont relégués au second plan par rapport à certains désirs, on le voit dans le rapport à la nourriture par exemple et la préoccupation pour une activité, un travail, une passion ou encore des besoins psychologiques non satisfaits. Evidemment, cet exemple montre un déséquilibre et ne se pose pas contre la pyramide de Maslow. Mais cela soulève tout de même la question de leur position éliminatoire les uns par rapport aux autres, en d’autres mots, celle des uns (les besoins) comme condition de possibilité des autres (désirs). Ainsi, cela montre que chaque entité fonctionne d’une façon relativement autonome et offre l’opportunité de la flexibilité. En l’occurrence, nous pouvons aimer alors que nous avons faim, ou échanger avec autrui sans pour autant satisfaire un désir de reconnaissance ou de confiance en soi. Le principe derrière cela est essentiellement de comprendre chacun de ces processus, afin de les appliquer pour ce qu’ils sont et pas utiliser l’un pour obtenir la satisfaction d’un autre.
Le besoin est ancré dans notre physiologie et nos impératifs biologiques. La faim, la soif ou le sommeil sont primaires et essentiels au bon fonctionnement de notre corps. De ce fait, nous croyons qu’ils exigent une satisfaction immédiate pour maintenir notre équilibre physique. Dans certains, cela se vérifie par exemple dans le soin apporté à l’alimentation du sportif, qui est aussi importante que la préparation physique et mentale dans la recherche de performance. Ainsi, les proportions des protides, lipides et glucides sont envisagées précisément en fonction de l’effort physique et de sa récupération, tant au niveau des proportions que du moment de l’assimilation. Mais, en général, nous pouvons sauter un repas, ne pas aller aux toilettes immédiatement, il reste donc possible de les éduquer. Les temporiser permet de mettre en balance ce qui nous paraît le plus important à effectuer, de redonner une marge de manœuvre à l’esprit. De ce fait, nous pouvons mieux organiser notre fonctionnement.
Quant à l’envie, elle est souvent confondue avec le désir, bien qu’elle soit généralement superficielle et éphémère. L’envie est prompte à émerger et rapide à s’estomper, souvent provoquée par des stimuli externes tels que des publicités ou des influences sociales. Elle est généralement associée à des objets matériels ou à des expériences immédiates, illustrant une tendance plutôt circonstancielle. L’envie peut être vue comme une réaction impulsive, manquant de la profondeur et de la persistance qui caractérisent les désirs, ou de la dimension indirectement nécessaire des besoins.
En contraste, le désir est un élément constitutif de notre être, façonnant notre identité et notre parcours de vie. Il est intrinsèquement lié à notre quête de réalisation car il a le pouvoir de nous motiver, de nous inspirer. Il est moteur de notre créativité, alimentant notre passion et notre engagement dans des projets. Il fait partie de notre psyché, reflétant nos aspirations et notre quête de sens. Il peut rester non satisfait sans mettre en péril notre survie physique immédiate, sa satisfaction peut être différée, mais sa frustration prolongée risque d’affecter notre bien-être émotionnel et psychologique à long terme. Il peut se décrire ainsi :
Expression corporelle : Les yeux mi-clos, le regard intense, fixés instantanément sur l’objet ou la personne, la bouche légèrement ouverte et détendue. L’attitude présente une certaine tension, ou attention, qu’on peut également percevoir lorsque l’objet du désir n’est pas présent, dans ce cas la personne semble ailleurs.
Fonctionnement intellectuel : bien que conscient de son existence, le désir ne révèle pas nécessairement toutes les motivations qui le sous-tendent. Les raisons invoquées pour justifier le désir peuvent varier considérablement et même être inconnues de la personne elle-même. En d’autres termes, bien que la personne puisse être capable d’exprimer ce qu’elle désire, ses motivations peuvent être confuses ou multiples.
Il trouve des dérivés dans :
Côté négatif : le désir peut être à la fois trompeur et source de souffrance. D’une part, il crée une illusion de liberté alors qu’en réalité il est souvent influencé par des facteurs déterministes. D’autre part, le désir peut causer de la déception et de la désillusion lorsqu’il n’est pas satisfait au moment où on le pensait possible. Même lorsqu’il est comblé, il reste souvent une force momentanée, voire insaisissable. L’éloignement de son objet peut entraîner une certaine langueur et une passivité, comme c’est le cas pour l’amoureux transi.
Côté positif : C’est un élan instinctif mais perfectible : il fait vivre et porte l’individu dans son existence, tout autant, il évolue avec l’expérience, d’autant plus si une réflexion s’est mise en place.
Expressions : « aller au-devant des désirs de quelqu’un », prendre soin, voire préjuger de ce qui fera plaisir à la personne. « Ôter à quelqu’un le désir de faire quelque chose », faire comprendre l’irrecevabilité d’une action.
Problématique: Ajouter une phrase pour introduire la dominance des émotions dans les activités artistiques.
Références philosophiques: Ajouter des références pour soutenir l’analyse.
Applications et Implications: Développer les implications des émotions dans les activités artistiques.
Il est assez commun de penser que les activités artistiques telles que le cinéma, le théâtre, la peinture, la danse et leurs dérivés contemporains, se basent sur la sensibilité, considérée créatrice, bien plus que sur un protocole d’élaboration. Débat qui peut s’ouvrir facilement car l’œuvre artistique n’est vraiment possible que suite à l’appropriation de la matière, de soi-même, de la connaissance des gestes possibles pour élaborer une nouvelle forme, de leur répétition et de l’observation de principes plus ou moins complexes. Cet ensemble constitue un savoir-faire et génère une dialectique entre l’auteur et l’œuvre, dont l’issue sera ensuite soumise au regard du public. Autrement dit, le hasard et l’incongruité ont peu de place dans ce système, bien que créateur et innovant, car c’est la technique qui va en donner la spécificité et pousser l’art à sa pleine expression, en nécessitant de puiser chez son interprète l’infinité et l’infime de sa sensibilité. Dans les cas où nous remarquons une certaine finesse d’exécution, nous irons jusqu’à invoquer un don ou du génie. L’art est une manière d’exprimer une sensibilité, d’offrir une représentation de la réalité ou de transcender son rapport à elle. De même, l’œuvre d’art s’offre au spectateur qui va éprouver, ou non, du plaisir à contempler cette création et tenter, ou non, d’y trouver une signification.
De façon plus spécifique, l’expérience musicale peut être plus personnelle car nous pouvons l’écouter en particulier chez soi ou dans divers endroits propices. Les occasions de nous prêter à l’écoute et l’appréciation d’une mélodie sont potentiellement plus nombreuses. Nous pouvons profiter de l’harmonie que nous pouvons attribuer aux sons que nous entendons, quoique son origine puisse paraître une affaire inexplicable. Bien que certaines créations modernes – si tout n’est pas considéré comme chef d’œuvre – rallient facilement un grand nombre d’admirateurs, ceci n’a pas été le cas dès la naissance de certaines autres, dites classiques. En effet, pour peu qu’elles soient surprenantes dans leur utilisation de cadences, d’instruments ou d’octaves plus aigus, certaines ont connu des débuts difficiles avant de passer à la postérité. Il s’avère que ce n’est pas uniquement une question de goût particulier, mais l’influence d’un environnement est aussi partie prenante dans nos goûts, elle impose des dogmes culturels. De manière générale, le succès de l’œuvre repose essentiellement sur le rayonnement, donc le type et le nombre de personnes liées entre elles, les réseaux sociaux illustrent bien ce fonctionnement. Il suffit d’aimer spontanément ou de refuser l’œuvre pour lui constituer son destin, « comme ça consomme » dit la chanson de nos jours. Mais le plus important pour nous est de voir en quoi une œuvre musicale, ou de tout type, nous parle, quelle émotion elle provoque.
De plus, la musique met en action les sens, premièrement l’audition, elle favorise aussi la conscience du corps à travers la danse, qu’elle soit l’objet d’un apprentissage académique où nous pouvons voir à quel point la technique pousse le mouvement vers la grâce, ou de type social, qui repose davantage sur l’imitation et le mimétisme. En faisant écho à notre sensibilité, elle nous entraîne de son pouvoir imaginatif et sensuel. Nous pouvons comprendre ici que c’est plus une affaire de corps que d’esprit, et pourtant il est possible d’analyser les cadences, les tonalités, les fréquences et accéder à un contenu intellectuel. En atelier, il arrive que nous travaillions la conceptualisation de ces paramètres afin de s’essayer à une compréhension minimum du phénomène mélodique ; une certaine émotion peut émerger alors et qui serait plutôt de l’ordre cérébral. Notre faculté de jugement s’accompagne d’une émotion suprême, d’une nature quasi religieuse, là où nous n’y voyons habituellement que sensibilité, créativité ou même imitation. Ce serait le passage de notre conscience d’un niveau sensible à celui des idées, le dépassement de la dimension sensuelle. L’art saisit un objet, quelle que soit sa nature, et le récrée, comme le travail même de la conscience qui s’attarde dans ses observations des facettes du monde, s’incluant elle-même dans ce processus. Celui-ci est proprement la recherche du beau, dans sa forme conceptuelle, au-delà du simple plaisir ou d’un quelconque rapport à soi.
Les rapports sociaux reposent sur notre tendance à nous rassembler avec nos pairs, afin de partager des centres d’intérêt, des affinités, de passer un bon moment, à rechercher notre semblable. C’est la sociabilité de l’être humain. Parmi les relations sociales que nous pouvons avoir, certaines sont privilégiées, ce sont les relations amicales, dans lesquelles le plaisir de se retrouver est plus durable, plus sincère et de manière réciproque. Le second aspect est la tendance à sortir des habitudes et à trouver une forme de divertissement. Nous voulons éviter l’ennui de son existence, qui est constamment sous le joug des obligations et des conventions sociales, et qui rend l’individu démuni, indécis, perdu lorsqu’il s’en extrait et se retrouve face à lui-même. Ainsi, il arrive souvent qu’en arrivant à une soirée où les personnes présentes sont des gens que nous fréquentons par intérêt ou par affinité, l’accolade ou « la bise » y est fréquente. C’est comme s’il était question de poser une qualité plus humaine à des relations qui ne sont qu’intéressées ou professionnelles à la base. Une fois fait, après le bon moment passé ensemble, chacun peut retourner en ses pénates sans quérir plus de signes amicaux, ce qui fait que nous embrassons rarement en partant, nous saluons plutôt de la main d’un air entendu, ou nous ne saluons qu’une seule personne pour toute la communauté. Et c’est réellement un accord tacite, une sorte de convention sociale : nous ne sommes pas suffisamment proches pour instaurer des gestes d’affection de façon systématique comme nous pourrions le faire en famille par exemple où l’embrassade se fait en arrivant et en partant.
C’est pourtant comme s’il était question de retrouver un peu « d’humanité » dans un système ambiant de règles, de gestion du temps et de relations pragmatiques. Recherche que nous pouvons retrouver dans les loisirs sportifs par exemple, qui offrent la possibilité de s’évader du réel, tout en s’intégrant – de nouveau – dans une microsociété. Celle-ci présente un nouvel ensemble de règles à la fois soumises à celles de la société, mais qui sont spécifiquement liées à une activité particulière de ce groupe, nous pourrions les appeler des mœurs. Et c’est, par exemple, symbolisé par le terrain sur lequel on joue, associé à l’équipement individuel adéquat, car on ne joue pas au football comme on joue au hockey sur glace, et c’est renforcé par un savoir-faire, un esprit de jeu approprié. En nous plaçant dans ce cadre, nous développons une part de notre identité qui ne s’exprime pas dans la vie de tous les jours. C’est un certain type de contentement, l’application de certaines compétences, le plaisir de certaines interactions. C’est la joie d’être ensemble, celle de partager des intérêts communs. Il s’agit aussi de développer une satisfaction personnelle par la pratique sportive, une activité bonne pour la santé, qui nécessite des qualités physiques. La communauté implique aussi des événements divers joyeux ou tristes vécus par les uns, accompagnés par les autres. C’est une forme de catharsis pratiquée en groupe qui améliore l’équilibre individuel, par l’augmentation de la satisfaction de soi dans les relations et par la dépense de l’énergie en dehors des obligations sociales. Ainsi, la dimension rigide de la vie en société dans sa généralité, qui impose un fonctionnement mécanique et indifférencié, est contre-balancée par la réhabilitation du schéma individuel dans un domaine relativement public.
Si une discussion est émotionnelle, c’est bien celle sur la politique, qui donne lieu au besoin irrépressible d’émettre une opinion, sentencieuse ou indignée, sur une actualité bien souvent marquante, et de débattre. Nous pourrions évoquer les questions religieuses et les querelles de couples, mais dans celles-ci sont présents des enjeux existentiels ou psychologiques plus intimes et sans la dimension sociale qui fait de la discussion sur la politique un théâtre très vivant, ou une foire d’empoigne. La politique a ceci de particulier qu’elle fait parler d’elle. Et étrangement, cela donne lieu à des salves subjectives assez fréquentes, car on ne parle pas de quelque chose sans donner quelque indication sur le parti que nous prenons ou sur notre expérience par rapport au sujet. Tel politicien scandalise par ses propos, tel dirigeant provoque l’indignation par ses actes, je suis dans le pays où il se passe la chose, j’ai des amis qui subissent, etc. L’origine de ce désir de commenter sans pudeur la politique reste mystérieuse, alors que d’autres sujets pourraient être tabous pour nous ; nous pouvons cependant tenter des hypothèses d’explication. Certains vont évoquer le faux clivage entre ceux qui parlent et ceux qui agissent, car faire savoir est aussi fondamental que militer activement. Nous pourrions mettre en avant l’opposition entre ceux qui comprennent l’actualité, veulent partager leur savoir et ceux qui ne savent pas ou sont indifférents à ce qui se passe. Les premiers seraient ravis de partager leurs opinions et seraient indignés que les autres n’accordent pas plus d’attention à des événements révoltants. Il y a bien entendu ceux qui sont au cœur même de l’actualité, en souffrent et appellent à l’aide ou expriment une honte d’être du côté des « méchants » malgré eux, ou ressentent le devoir et la légitimité de témoigner sur des exactions. D’une manière générale, nous pourrions partir du principe que nous avons une capacité de jugement et qu’il serait étrange de ne pas avoir un avis sur ce qui se passe. A cette hypothèse, nous pourrions également répondre que d’une part le jugement devrait rester rationnel, se détacher de l’émotion ou de l’envie d’en découdre ; pour ne pas créer un conflit à propos du conflit. De plus, il n’est pas dit en quoi le fait d’avoir un jugement en rende nécessaire le partage, comme de ne pas le faire. Et cela n’explique pas non plus le fait de réagir seulement au moment d’un événement dramatique, au moment où la fibre émotionnelle est la plus sensible, ce qui ne permet pas d’en extraire quelques enjeux politiques, sociaux, culturels, ou même de dresser une psychologie des dirigeants. Il est à noter que de nos jours, les réseaux sociaux sont puissants sur le plan politique. Ils permettent à tout un chacun de s’exprimer et de faire passer un message très rapidement grâce aux partages de publications. Ainsi, tous ceux qui s’identifient à telle opinion n’ont qu’un clic à faire pour augmenter l’impact du message dans le domaine public. Par voie de conséquence, les mots provocants et les réponses émotionnelles sont foison et font boule de neige. De ce fait, l’homme politique n’est plus dans un monde à part, placé au bout d’une chaîne d’élection ou d’une hiérarchie sociale. L’opinion publique est à sa porte et il ne peut l’éviter. Qui plus est, son pouvoir sur la pensée des gens est mis en balance par des personnalités connues qui osent utiliser leur réputation, leur réseau ou leurs compétences de cinéastes ou journalistiques pour mobiliser cette opinion publique. Nous voyons donc que la politique peut vite déchaîner les passions, dans une recherche de cohésion contre le contrevenant, l’ennemi ou l’envahisseur. Mais cela ressemble parfois à une passion faussement rationalisée, nous voulons donner l’image de la personne qui réagit à chaud de manière distanciée, donc sage, en développant des arguments bien pensés et articulés. La personne qui parle de politique exprime publiquement son positionnement et recherche l’adhésion. L’idéologie politique serait un vecteur de rassemblement. Mais discrètement, apparaît un principe lié à celui du rassemblement : celui du leader. Celui qui parle de politique est celui qui poursuit un idéal, a des idées claires sur la question discutée, a la force de parler en public, d’affirmer ses positions, le courage de s’opposer et a l’envergure de celui qui peut mener un groupe. Et si nous observons une discussion sur la politique, nous voyons apparaître rapidement les psychologies des antagonistes, celui qui va « gagner » en ayant le dernier mot. Un autre principe se dessine en filigrane, c’est celui de la bienpensance. Il faut être du côté des bons, ou du côté de ceux qui savent ou qui s’intéressent. Rivalités d’égos, démarches existentielles ou professions de foi, la discussion sur la politique est un étrange carrefour de la subjectivité. Sans oublier la forme la plus insidieuse, ceux qui revendiquent de ne pas se mêler de politique, il est fort à parier qu’ils n’en ont pas moins à dire, mais peut-être attendent-ils d’être face à une audience capable de comprendre leurs idées, peut-être très savantes, qui sait. Après réflexion, pourquoi ne pas simplement se laisser aller à l’énonciation de son jugement, en se faisant confiance, et le partager avec celui qui ne se gênera pas de dire ce qu’il pense également, sans se soucier des insatisfaits chroniques. Et participons à notre propre mesure à l’événement, car penser c’est aussi s’engager.
Problématique: Ajouter une phrase pour introduire l’utilisation des émotions dans le marketing.
Références philosophiques: Ajouter des références pour renforcer l’analyse.
Applications et Implications: Développer les implications de l’utilisation des émotions dans le marketing.
Son objectif premier est de développer une réputation à travers du visuel grâce au logo mais aussi sur sa qualité d’agent économique. Il intègre la « communication produit ». Par ailleurs, il est utilisé par tout organisme privé ou public qui souhaite faire passer un message. Ce sont des techniques de communication professionnelle qui sont utilisées quelque soit le cas, en utilisant un visuel fort, la répétition, l’omniprésence, etc. Elles visent en particulier à provoquer certaines émotions types chez le consommateur qui vont le pousser à l’acte de d’adhésion ou d’achat. Le désir sera la cible de la « communication produit », accompagné de sentiment de bien-être, de rêve, de facilité, etc. Il s’agira plutôt de la peur, de la culpabilité ou du sens moral et de la responsabilité dans une communication de prévention. Ainsi, bien que certaines campagnes s’adressent plutôt à la dimension raisonnable du public, la publicité en général tend à générer un déséquilibre dans le fonctionnement individuel, un penchant, une impulsion, un manque qu’un produit ou un service pourraient pallier. Et pourtant, dans la communication commerciale, dès qu’il est question d’exposer à un groupe une idée, une œuvre, un projet, une personnalité, le discours doit viser le discernement et la dimension sympathique de l’individu. Autrement dit, l’orateur ou le publiciste doivent faire une démonstration à la fois cohérente et sensible, car un aspect sans l’autre ne pourrait atteindre son but : une présentation purement argumentative ferait appel à un esprit critique et distant, tandis qu’une explosion sentimentale sèmerait la confusion en provoquant d’abord une impulsion qui disparaîtrait ensuite sans laisser de trace dans le processus de décision. Donc, l’équilibre entre arguments consistants et fibre sensible est le cocktail pour l’efficacité d’un message. C’est ce qui permet d’adapter un produit à ce qu’on appelle « un besoin » et d’en augmenter la valeur en identifiant le désir inhérent.
On pourrait penser à la publicité du monospace allemand dont la modularité permet l’adaptation aux diverses situations quotidiennes, fait preuve d’efficacité et procure du confort. Cette modularité permet la créativité et s’adapte à la mobilité d’une population relativement jeune. De plus, l’acheteur éprouve de la satisfaction à acheter un véhicule à un prix modéré, qui est pour lui raisonnable. Au final, un tel achat présente les deux aspects pratique et dynamique. De même, l’annonce pour la barre chocolatée que toute bonne maman garde au frais pour le goûter de ses enfants en pleine forme et constamment en mouvement ; produit dont on vante les mérites depuis quelques décennies maintenant, ce qui serait un gage évident de qualité. Pour conclure, sans la fibre émotionnelle du consommateur, qui actionne la spontanéité, la recherche de certitude et des préoccupations pratiques, l’entreprise ne pourrait pas développer un système financier qui est fait de calculs et de prises de risques.
Dans les entreprises, le travail de groupe nécessite de connaître les compétences, les faiblesses et les besoins de chacun afin d’anticiper ou de s’adapter à des situations problématiques, pouvant générer des blocages dans la gestion d’équipe ou de projets. La connaissance des émotions est indispensable car elle facilite la coopération. D’une part, il est souhaitable de limiter la censure de l’expression personnelle, afin de maintenir un équilibre interne chez l’individu. D’autre part, l’expression des émotions permet de les identifier et de mieux comprendre leur processus, qui devient familier et moins problématique. Enfin, la connaissance des émotions, et plus particulièrement leur fonctionnement harmonieux, assure un processus de prise de décision plus efficace, car plus rapide et moins parasité. Il est courant d’entendre dire que l’individu ne se sent pas reconnu, ni dans ses compétences, ni dans sa subjectivité, ce qui explique peut-être la fréquence des recours juridiques, pour soi-disant faire valoir ses droits, mais parfois en réalité pour obtenir une certaine reconnaissance, entre autres, une reconnaissance de ses émotions, ainsi que nous le voyons dans le fait de se sentir lésé de ses droits, ce qui serait en réalité être stressé, perdre la motivation au travail, ou ne pas voir sa contribution prise en compte. Divers livres de management ou de sociologie traitent de ce problème afin de démontrer que des dirigeants font perdre des avantages à l’entreprise lorsqu’ils ne pensent pas ou ne savent pas exploiter la première ressource de leur entreprise, c’est-à-dire ce qui est souvent appelé « l’humain ». Rien de tel pourtant qu’un dialogue fréquent entre les différents acteurs d’un même ensemble pour activer la reconnaissance de chaque individu dans sa part de pouvoir, ses compétences professionnelles mais aussi sa dimension personnelle. En contrepartie, la vie psychique individuelle se nourrit aussi de la vie professionnelle.
Les interactions personnelles pourraient être plus faciles dans le tissu associatif, où nous cherchons à valoriser certaines de nos compétences qui ne sont pas exploitées dans le monde traditionnel de l’entreprise. En effet, nous pourrions considérer que dans un cadre qui comporte « moins de pression » économique, la dimension de résultat serait secondaire. Or, il s’avère que les associations sont des personnes morales, offrant souvent un service à un public, et à ce titre ont fréquemment recours à un salarié pour ses compétences dans un domaine spécifique, comme l’entraîneur de sport, l’assistant administratif ou commercial, etc. Nous retrouvons donc dans une certaine mesure les mêmes enjeux besoins personnels/nécessité économique qui soulèvent la même problématique de management. Il s’agit donc d’assurer un confort mental à l’individu qui, en retour, use de ses compétences de façon satisfaisante. Ainsi le monde associatif ne serait pas si étranger aux problématiques d’entreprises classiques. Il revient surtout au manager, ou au président d’association, de prendre en charge cette dimension afin de favoriser au mieux les échanges internes de l’entreprise, ou de son équipe. Néanmoins, l’enjeu nature contre culture sous-tend davantage le monde de l’entreprise puisque des théories s’y opposent de manière durable et caractérisée entre faire respecter la dimension sensible des salariés et structurer un savoir-faire pour développer la productivité. Et bien souvent, nous pouvons suspecter que c’est l’aspect systématisé de l’entreprise qui prend le dessus car il est source de revenus et de reconnaissance sociale. Ceci étant dit, quelques cas d’entreprises ont choisi de faire reposer leur activité interne sur le confort de leurs employés en construisant des locaux douillets ou en offrant des services à la personne et à la famille. D’autre part, dans le monde associatif, une catégorie d’acteurs apparaît, que nous ne retrouvons pas dans l’entreprise, c’est le bénévole. Ce qui fait souvent dire qu’une association ne se gère pas de la même manière qu’une entreprise, car il s’agit avant tout de l’humain. Certes, le bénévole rend service gratuitement, ce qui rend délicat de lui imposer une manière de faire, un devoir de moyens ou de résultats. L’enjeu de la relation entre l’association et le bénévole repose donc sur la bonne volonté et la reconnaissance de celle-ci. Autrement, nous pourrions assister, comme il arrive trop fréquemment, à des conflits plus ou moins virulents, plus ou moins ridicules aussi.
L’exemple de la vie de famille pourrait servir pour ce cas de figure ! Il est vrai que nous pouvons nous demander si les émotions ne seraient pas bannies de l’éducation ou de la relation familiale. Prenons un exemple commun, si un enfant tombe, le parent réagit immédiatement, soit il se précipite pour le relever, soit il recourt au « ce n’est rien ». La réaction répond à un besoin similaire de voir l’enfant tout le temps joyeux et en position de réussite. Pourquoi donc serait-ce « rien » ? La chute est pourtant un moment capital dans l’apprentissage de la marche ou de la course, étape non moins fondamentale et symbolique de la maturation de l’enfant. Et pourquoi ne doit-il pas pleurer ou ne doit-il pas faillir ? D’ailleurs, quand nous observons bien la scène, l’enfant se met à pleurer quand le parent est accouru vers lui. Le manque de maîtrise des émotions fait que le parent se trouve désemparé une fois confronté à une situation qui peut les provoquer, voire il les anticipe ou en est la cause. Le parent tente d’effacer la réalité, ici la chute, et, bien qu’inconsciemment, veut maintenir l’enfant dans un rapport joyeux, positif à son expérience. Il part du principe que tout échec, douleur, ou frustration, est triste et déstabilisant, voire traumatisant. Or, il pourrait prendre le parti d’une expérience joyeuse, qu’elle réussisse ou pas. Le fait est qu’il ne peut pas enseigner à ses enfants comment apprivoiser ses émotions, puisqu’il les évite lui-même. Par contre, l’enfant fait le lien entre la chute et l’expression « problématique » de son désarroi – le pleur -, association qui interviendra dès lors à chaque nouvelle expérimentation comme un conditionnement. Ce qui générera la crainte de l’échec. Or rien de tel que la pratique – par soi-même – pour que l’apprenti établisse un jugement autonome ou demande à agir par lui-même et que l’observateur laisse faire. Éventuellement, si un savoir ou un savoir-faire doivent être transmis, cela peut se faire par l’exemple et l’accompagnement, montrer ce que nous sommes capable de faire, l’abandonner au jugement d’autrui et à l’opportunité d’une nouvelle mise en œuvre, échanger et faire état de progrès chez l’apprenti.
Quant aux personnes qui se prévalent d’une nature sensible ou affectueuse, elles prouvent dans des situations inattendues exactement le contraire. Quand nous posons l’amour au-dessus de tout, très généralement la haine ou la possessivité en sont les faces cachées. Ceci s’explique par le fait que l’amour est, entre autres choses, le désir d’un objet, c’est l’amour de quelque chose, de quelqu’un. Nous ne possédons pas celui-ci en soi, mais nous voulons sa présence, son impact positif sur nous-même. En effet, il nous suffit de nous voir refuser notre amour pour que l’objet du désir devienne une cause de frustration. Plus fort est l’attrait, plus fort risque d’être le rejet, ou le sentiment de rejet, ces deux forces acquièrent des valeurs d’intensité équivalentes, donc s’annulent ou ne peuvent entrer en résonance, et créent le désarroi. Nous pourrions reprendre à notre compte une expression banale mais qui peut faire sens : trop d’émotion, tue l’émotion. D’une façon plus élaborée, l’émotion appelle son opposée et leur combinaison plonge la personne dans la confusion. Le phénomène se voit bien sûr dans certains couples, où la période passionnelle prend progressivement l’allure d’une récusation et peut se transformer en séparation. Il est a priori impensable de rencontrer au sein de cette entité romantique l’impression de rejet, surtout lorsque nous prenons l’engagement du mariage. Or il devient évident que certains traits de caractère de l’un peuvent poser problème à l’autre, principalement parce qu’ils remettent en cause son image idéale ; par ailleurs, la répétition, bien que créant une certaine habitude confortable, peut générer de l’ennui. Et là, ô combien l’exaltation de la lune de miel devient peau de chagrin. L’observation de ces phénomènes amène à mieux prendre en charge les émotions négatives en découlant, par un effort de générosité et de prise de distance bénéfiques. Mais cela implique d’accepter de voir son image changer dans les yeux de l’autre : parler des problèmes au sein du couple, c’est d’une certaine manière prendre de la distance. Et ce phénomène peut être mal interprété par l’autre et en déduire qu’il n’est plus aimé. Alors qu’au contraire, le désir de les prendre en charge et d’examiner leurs implications, pourrait être le signe d’un amour qui évolue.
A bien y regarder aujourd’hui, le but de l’éducation en général serait de nous guider parmi les émotions, à nous amener d’un état initial à un autre « plus abouti », une meilleure connaissance, une maîtrise, pour soi et en société. Or, les professeurs et les formateurs ne savent pas comment faire et revendiquent même leur non ingérence dans ce domaine, qui est selon eux du ressort des parents. Désormais, le moindre écho émotionnel est traité par un psychologue ou une assistante sociale, à l’écart de la situation problématique. Comme si les émotions étaient un désordre inacceptable dans la bonne vie du groupe, alors qu’elles y sont fondamentales. Tout ce qui présente une caractéristique subjective est balayé au rang des incongruités. A tel point que, par exemple, lorsque la préoccupation d’un enfant est plus visible que dans la moyenne, le conseiller d’éducation renvoie le dossier au centre médico-psychologique de la ville, qui lui-même transférera éventuellement au juge des enfants, afin d’assurer ses arrières concernant son jugement. Dès lors, il n’a plus rien à craindre d’une éventuelle accusation de conclusion hâtive, après avoir décidé d’une quelconque faute parentale. C’est la justice qui rend son verdict dans une affaire d’affects. D’ailleurs, rien n’est éventuel, c’est quelque chose d’assez courant : autrement dit, tout d’abord, les psychologues et assistants sociaux ont beaucoup de travail actuellement, ce qui les empêche de se poser dans leur analyse, il faut travailler vite et bien, exigence de résultat. Ainsi, leur préoccupation est pragmatique. De plus, ils utilisent des étiquettes socio-psychologiques, selon lesquelles la maman doit être attentionnée et protéger l’enfant de toute situation problématique, en particulier au niveau affectif, tandis que le père doit être présent pour incarner l’autorité. Or la réalité intime de l’individu, précisément sa conscience de lui-même et son rapport au monde, ne se déterminent pas ainsi, sa nature est dans la capacité à prendre conscience de lui-même et à agir en fonction de celle-ci. Ce qui nécessite de se sortir de schémas psychologisants établissant une vue en réalité traditionaliste et moraliste des relations familiales. En effet, sans le support d’un esprit un minimum critique, l’étude des cas individuels ne reste qu’au niveau de l’historique personnel qui prend alors la forme d’une narration infantilisante et aboutit au blâme et à l’opprobre.
Quant à la théorie des genres, pour laquelle les filles seraient plus émotives que les garçons, le clivage ne devrait pas se porter au niveau génétique, mais plutôt au niveau des types de fonctionnement, qui seraient dégenrés : l’analytique garde généralement ses émotions pour lui, tandis que l’émotif fait ressortir le moindre changement de ses états d’âme. Cependant, l’éducation, dans sa dimension culturelle en France, influence la manière de réagir aux événements et aux personnes, un garçon ne pleurera pas et sera fier de montrer ses cicatrices, tandis qu’une fille prendra plus soin de ses apparences et recherchera la protection. Ces propos vont en irriter quelques-unes principalement car elles auront le sentiment de lire une caricature du comportement féminin, tout autant que des hommes ne se retrouveront pas dans ce jugement ; ce que nous ne contredirions pas, mais ce sont des caractéristiques encore fréquentes, malgré les changements en cours, tels que les exemples de plus en plus nombreux de femmes chefs d’entreprise ou de pères au foyer.
Par ailleurs, nous pourrions opposer, au schéma social classique, le schéma du libertaire enclin à l’émotion et son expression libérée, voire délibérée. En effet, la première caractéristique du libertaire est la notion de liberté, qui peut se transposer dans l’expression de soi en dépit de toute contrainte qui représente l’étouffement de la subjectivité. De ce fait, le libertaire est généralement considéré comme un original, plutôt un être authentique, voire décalé ou maladroit dans les relations sociales. Or, ce système forcené de l’émotion engendre une forme plus ou moins forte de dépression, le soumettant à un régime faisant alterner des hauts et des bas, des moments de sentiment de puissance et d’autres d’impuissance. Le système émotionnel est un système de représentations du monde, qui peut être excessif. Il correspond à un idéal, ou à des attentes qui, par définition, ne peut pas être atteint, et génère une anxiété de ne pas être à la hauteur, ou parfois de l’orgueil, d’avoir de telles exigences. L’éducation du libertaire fera ressortir ces différentes facettes chez ses enfants, qui sont émotifs, plutôt égocentrés et paradoxalement assez sûrs d’eux-mêmes. Mais ils connaissent des moments de doute important et des interrogations sur l’existence. Nous pourrions voir chez eux un désir d’existence très fort, qu’ils revendiquent un peu malgré eux, un manque de confiance et une tendance à se victimiser. Leur relation à leur parents est soit l’admiration ou l’idéalisation, soit le rejet ou le ressentiment. Leur parcours dans les études reflète leur remise en cause de leur environnement, stigmatisé quelquefois par des enseignants qui racontent leur vie, donnent des cours soporifiques et expliquent des choses qui sont sans rapport avec le cours. Sans omettre que le tissu relationnel des enfants libertaires est restreint, houleux, mais authentique. Il leur faudra malgré tout apprendre à maîtriser leurs émotions, leurs inquiétudes sur l’existence, à aller de l’avant de façon concrète, à s’engager dans des projets et à intégrer un minimum d’obligations sociales.
L’autorité est dotée d’une suprématie d’action ou de décision, ou d’un ascendant, elle implique une hiérarchie, ou une position haute. Nous pouvons aussi dire qu’elle est compétente en une certaine matière ou situation, ce qui l’habilite à décider pour une action ou prendre une décision. De plus, elle prend en considération des paramètres qui dépassent l’individu et ses attentes, ou qui les nient ou encore en sont indépendants. Ainsi, elle a une vision plus large ou plus tranchée, ce qui lui permet d’envisager des problématiques générales. De ce fait, nous allons penser qu’elle veut faire du mal, ce qui encourage diverses formes de protestation. L’autorité peut donc être amenée à prendre en compte les résistances, à mieux communiquer sur les enjeux, à faciliter le processus de compréhension, afin de ne pas devenir cruelle et pour conserver sa légitimité.
La cruauté peut être définie comme une attitude ou un comportement malveillant qui causent de la souffrance, de la douleur ou de l’injustice à une personne ou à un animal. La cruauté peut prendre de nombreuses formes, telles que la violence physique, la torture, la maltraitance, la discrimination, le harcèlement, l’intimidation, l’exploitation, etc. La cruauté n’est pas seulement déterminée par les actions, mais aussi par les intentions derrière celles-ci. Par conséquent, un acte, qui peut sembler cruel à première vue, peut ne pas l’être en l’absence de malveillance. Ainsi, quand nous faisons du mal à quelqu’un, ce n’est pas nécessairement voulu, de même, quand nous nous sentons agressé, cela peut être une autojustification de celui qui se victimise.
Si nous dessinions une échelle de la violence, l’autorité, affichée et frontale, paraîtrait plus violente que la persuasion, qui est plus discrète, psychologique et pernicieuse. Mais la violence est d’ordinaire utilisée lorsque l’autorité n’a plus d’effet, c’est bien là la contradiction de l’accusation de violence envers l’autorité. Par ailleurs, son étymologie suggère une autre dimension, son lien avec l’idée d’auteur : l’autorité est aussi le principe qui donne vie à une œuvre, lui confère un droit à exister et donne à croire en la valeur de cette œuvre. Problématique qui se soulève parfois lorsque nous avons réalisé un travail et que nous ne le montrons pas, que nous l’effaçons ou le détruisons. L’œuvre est en quelque sorte avortée, par manque de sentiment de légitimité, doute de soi irrationnel, nous ne nous accordons pas d’autorité.
Notre rapport à l’autorité n’est pas toujours serein. En effet, l’autorité peut se voir remise en question lorsqu’elle rencontre celui à qui elle pose problème. D’une part, il se peut qu’autrui ne veuille pas être sous le joug de quelqu’un d’autre, ou suivre une règle intolérable. Dans ce cas, il ne validerait pas les décisions prises pour des raisons soit subjectives, car il voit son « intégrité » menacée, soit objectives, car il fait preuve d’esprit critique et présenterait une bonne objection. Il reviendrait à l’autorité d’accepter cet état de faits, car se rebeller contre elle n’implique pas qu’elle est nécessairement illégitime, cela devient plutôt une occasion pour penser un enjeu. D’autre part, ce serait l’autorité qui penserait être rejetée car elle ne s’assumerait pas, par crainte de déplaire généralement, et craindrait d’appliquer certaines règles inhérentes à son rôle ou à un exercice, ce qui générerait de la maladresse.
Par exemple, la personne qui dispute l’autorité a un problème avec son identité. Elle manque de confiance en elle-même et son rapport difficile avec le jugement des autres ou de soi-même la rend confuse. Une possible conséquence est le risque de se percevoir comme inférieure, ce qui rend la relation conflictuelle avec celui passant pour l’autorité, devenant également un bourreau dans une vision victimisante. De manière générale, le fait d’avoir des doutes sur qui nous sommes ou sur ce que nous voulons dans la vie, amène à refuser les décisions et les orientations données par une figure d’autorité. Tout ce manque d’être rend la personne égocentrique, et son rapport à l’autorité révèle une attitude subjective, un désir de puissance plus ou moins fort, et d’exister. Le désir de puissance est peu défini quant à son objet et son ampleur, ce qui corrobore la difficulté de la personne à se connaître. Elle se rebelle donc contre une entité qu’elle croit fermement être un danger et cette opposition empêche un échange constructif. Alors, celle-ci se met en rivalité avec tout ce qui représente une autorité, affichant bien malgré elle un désir de se définir. Mais tout cela n’est que combat et se solde par la souffrance, le sentiment d’incompréhension et de petitesse, alternant avec un désir de grandeur et de spécificité. Le rejet pose le problème de l’évitement et du manque de cohérence de soi, par conséquent du choc de la rencontre, ce qui stigmatise la problématique. Finalement, rejeter l’autorité, c’est se refuser les moyens de mettre en œuvre des décisions et choix, c’est prôner la passivité et l’inconsistance. C’est la peur de grandir et de se prendre en charge. Le problème se voit à l’école dont l’un des principes est de se familiariser avec l’aspect arbitraire de l’apprentissage de la connaissance et des règles de la vie en société. Ainsi certains enfants décrochent par sentiment d’absurdité. De même que les parents rencontrent ce malaise d’imposer leur autorité, ainsi soit ils ne préfèrent pas se rendre compte de la dureté de leurs préceptes, de leurs exigences, soit ils font preuve de mollesse et de laisser-faire, deux obstacles dans l’apprentissage du décentrement puisqu’ils renforcent un quant-à-soi et laissent l’enfant prendre l’habitude de ne tenir compte que de ses désirs. Ce qui en fait soit des enfants imbus d’eux-mêmes, soit incapables de s’adapter.
On oublie trop facilement que l’autorité est le pouvoir qui peut décentrer un fonctionnement subjectif et le dynamiser : accepter de se plier à un ordre ou à une injonction ne devrait pas être considéré comme être manipulable et faible. Ce qui passe pour de la cruauté, c’est en réalité le processus d’arrachement à soi qui ne se fait pas sans quelque douleur. Ce n’est pas une question posée qui fait mal, ou qui déstabilise, mais plutôt l’attachement à une idée, l’ancrage de convictions et de croyances, que l’individu compense par le désir de se cacher ou la crainte d’être exposé. Or, c’est avant tout se donner la capacité de se limiter, de se modérer, de faire face à la réalité, de fonctionner selon le sens commun, de se voir autrement, source de richesse intérieure et d’acceptation de soi. L’autorité ne serait alors pas institutionnelle, mais serait l’altérité, l’autre soi qui est un appel à l’universalité ou une admonestation de la réalité. Entre autres avantages, l’obéissance à l’autorité pose les fondements de notre liberté. En choisissant de se plier aux normes et aux règles, l’individu peut exercer son libre arbitre, rendre compte clairement et objectivement de ses actes et idées. Et ainsi de se donner la légitimité. Nous apprenons à mieux gérer nos émotions, à nous concentrer sur des tâches importantes et à travailler en harmonie avec les autres. L’autorité peut être une source d’apprentissage et de développement personnel. En nous conformant à des règles de travail, nous pouvons améliorer nos compétences, acquérir de nouvelles connaissances et nous améliorer. Enfin, la soumission à l’autorité permet à l’individu de fonder sa propre moralité, de ce fait, devenir une personne plus sage et plus vertueuse.
L’autorité peut être considérée comme un moyen de contrôler les instincts égoïstes de l’individu et de les canaliser pour stimuler l’altruisme et l’empathie. De plus, la soumission à l’autorité peut s’envisager comme un acte de responsabilité. En acceptant de suivre les règles et les consignes, nous pouvons nous protéger ainsi que les autres et contribuer à une forme de paix sociale et une meilleure organisation. L’autorité peut également être considérée comme une forme de protection contre ce qui nous pose problème dans la vie et la société, elle nous évite de fonctionner dans l’immédiateté. Les normes et les règles assurent à l’individu des droits et des libertés, qui nous guident dans nos projets et nous permettent de réaliser de façon satisfaisante ce qui nous tient à cœur. L’autorité peut être considérée comme une forme de sagesse collective, tel que l’exercice de la capacité de Raison, qui permet à tout un chacun de faire preuve de jugement critique. Enfin, la soumission à l’autorité implique une forme de respect pour les valeurs et les principes qui régissent notre société, ou un groupe. En acceptant de nous conformer à ces normes, nous exprimons notre engagement envers notre communauté.
De nos jours, l’autorité est considérée comme n’ayant pas de légitimité quand elle est un statut obtenu suite à une carrière qui s’inscrit nécessairement dans le passé. A cause de cela, elle est accusée d’ordonner selon des principes qui faisaient sens dans une période antérieure et ne prennent pas en compte l’évolution de la réalité, que ce soit dans la société, l’entreprise ou la famille, etc. « Les choses sont différentes maintenant. » Ou encore, il nous arrive d’entendre parler des « boomers » : les jeunes n’hésitent pas à les renvoyer à leur époque d’après-guerre, pendant que ceux-ci et la génération qui les suit se plaignent du manque de désir de travailler chez ces impudents. La légitimité se perd ainsi selon un principe d’évolution. Ou alors nous reprochons à l’autorité de fonctionner d’une manière trop globale ou abstraite, et de ne pas tenir compte des disparités, des minorités, de l’individuel. Nous accusons alors l’autorité de faire selon ce qui lui plaît, de décider selon des privilèges, d’être arbitraire, ou d’être mal organisée. Or, notre époque est davantage tournée vers l’indépendance, le subjectivisme et le ménagement, peut-être en réaction par rapport aux exemples historiques qui ont frappé le monde occidental, où l’autorité était devenue cruelle, jusqu’au-boutiste et criminelle, ou parce que la consommation contemporaine est fortement personnalisable. L’individu réclame sa part de décision, de choix et de confort. Ainsi, certains sociologues proposent d’intégrer la participation du citadin dans la réflexion de l’aménagement du territoire de la ville, tâche auparavant laissée aux fonctionnaires de l’Etat. Ce qui ne veut pas dire que les choses changent fondamentalement puisqu’il revient à une autorité de légiférer, mais c’est officiellement filtré par le prisme des centres d’intérêts individuels variés. La multitude du monde est accueillie puis se retrouve au final effacée par le manque d’engagement dans la structure collective, à moyen ou long terme. Autre raison pour laquelle l’autorité restera paradoxalement légitime, ou plutôt est nécessaire, c’est elle qui donne l’impulsion et crée la cohérence d’un groupe ou d’un projet.
En dernier lieu, peut-être que nous ne devrions pas considérer que l’autorité est incarnée dans une personne que nous avons en face de nous, mais plutôt comme une instance à laquelle il serait bon de faire référence pour conserver une certaine justesse. Il s’agirait d’avoir recours à un idéal régulateur, qui n’est pas imposé collectivement, mais qui prend du sens individuellement. Mais celui-ci, en contrepartie, permettrait à différents individus de communiquer, de mettre en place des projets qui soient d’actualité, mais qui ne répondent pas nécessairement aux dogmes sociaux de la bienpensance, ou de la bienveillance. En d’autres termes, il s’agirait plutôt de la Raison, qui est partagée par tous et implique de l’objectivité, tant dans les idées que dans les questions plus matérielles ou pratiques inhérentes à toute réalisation de projet.
Problématique: Introduire la question centrale sur l’hypersensibilité.
Références philosophiques: Ajouter des références pour renforcer l’analyse.
Applications et Implications: Développer les implications de l’hypersensibilité dans la vie quotidienne.
Elle est présentée comme un syndrome, voire comme une maladie par certains, qui ont une tendance à dramatiser leur cas. L’hypersensibilité est un terme qui décrit une réponse excessive ou disproportionnée à des stimuli qui sont perçus comme menaçants ou stressants. Il existe plusieurs formes d’hypersensibilité, notamment l’hypersensibilité émotionnelle, sensorielle, physique, et sociale. L’hypersensibilité émotionnelle peut se manifester par une réactivité accrue aux événements, une difficulté à contrôler les émotions, ou une tendance à être facilement bouleversé ou irrité. L’hypersensibilité sensorielle identifie une sensibilité accrue aux stimuli sensoriels, tels que les bruits forts, la lumière vive, les textures rugueuses ou les odeurs fortes. L’hypersensibilité physique est reconnaissable à une réponse accrue aux sensations physiques, telles que la douleur, des mouvements ou la pression. L’hypersensibilité sociale caractérise une crainte ou une anxiété excessive dans les situations sociales, ou une difficulté à comprendre et à interagir avec les autres. Dans des cas plus extrêmes, l’hypersensibilité peut être un symptôme d’un trouble de santé mentale, comme la dépression, l’anxiété, le trouble de stress post-traumatique.
Sur le plan existentiel, l’hypersensibilité est la conception à la fois égocentrique et traumatisée du monde. Même si elle est diagnostiquée, et par là correspond à un phénomène psychique reconnu, elle sert parfois de prétexte pour se protéger d’éventuelles agressions, principalement l’attitude d’autrui que nous jugeons choquante par rapport à l’image que nous avons de nous-même, et donc serait mue par des intentions malveillantes ou insensées. « Je suis choqué ! », dit-on, voire répète-t-on, en fonction de l’intensité de l’indignation. Cela comporte donc une vision manichéenne où le bien est en soi et le mal alentour, condamnant à une vision douloureuse du monde, à un combat incessant pour rétablir la justice, ou un profond sentiment d’incompréhension. La réaction est soit de corriger le jugement des autres, en prônant de façon persuasive notre vision, soit de pratiquer une posture indifférente, mûe par l’impuissance.
L’hypersensibilité est un état exacerbé, repoussant toute contrainte, et autorité, sources possibles de gênes ou de douleurs, et souffrant de la limite que quiconque vient imposer par sa simple présence. Le rapport au monde, et même à soi est douloureux, tumultueux, éperdu. C’est comme s’il y avait une normalité, impliquant un excès de souffrance en nous, un manque de compassion en dehors. Dans l’excès inverse, nous pouvons découvrir le manque interne de confiance, de vigueur et de tranquillité, de même qu’une extériorité décrétée comme opprimante et intolérable. Il en résulte que l’hypersensible est accusé d’indifférence ou de maladresse sociale, car il tente de repousser les limites de sa souffrance, de se protéger, au détriment de ses relations avec ceux qui l’entourent.
Lorsqu’une émotion surgit, nous nous concentrons sur elle pour la ressentir et comprendre sa signification. Elle prend alors tout l’espace et nous avons l’impression qu’elle est partout. Nous avons tendance à exagérer les événements pour nourrir cette émotion et la faire grossir. Par manque d’expérience ou d’image autre de nous-même, nous choisissons de la contrôler pour nous conformer à la réalité des autres. Nous l’exprimons dans un environnement sécurisant, qui peut être physique ou symbolique, ce que certains pourraient considérer comme de la pudeur. A priori, cette émotion porte une connotation positive car elle est une attitude délicate et discrète. Elle peut être motivée par la peur de la folie, ou de l’hystérie, et vouloir maintenir une cohérence intérieure. Mais elle comporte le problème d’une certaine honte de soi, de sa faiblesse. La pudeur nous protègerait contre la dissolution de notre être et tendrait à en conserver une réalité permanente et fidèle, qui serait compromise si nous tentions de changer notre état d’esprit.
Les personnes qui se comportent de manière égocentrique peuvent être mues par la peur du vide, de la solitude, du néant, etc. Elles centrent leur vision du monde sur leur propre personne et paradoxalement recourent au jugement des autres pour se valoriser. Elles sont inconfortables avec le chaos du monde qui fait écho au leur. Ce qui fait qu’à la fois le jugement des autres est important car c’est le seul lien fort qui les lie avec l’extérieur et qui amplifie également leur relation inquiète au monde. Ils oscillent ainsi entre retrait et loquacité.
Quoi qu’il en soit, l’hypersensibilité n’est pas pathologique, bien que porteuse de souffrance. C’est plutôt une caractéristique psychologique. Nous pouvons prendre le parti de l’utiliser comme prétexte afin de contrôler nos relations et conserver de manière générale un confort moral. En d’autres mots, nous choisissons d’être victime de nous-même, tout en maintenant une trompeuse image de personne forte. Pourtant, il nous est possible de nous fier à elle comme ressource puissante de compréhension du monde et de nous-même.
Ce sont les émotions tristes, en général un état de faiblesse ou des actions plus ou moins violentes qui en ressortissent, ce qui est jugé comme « mal ». Nous les percevons chez les autres, comme un reflet indistinct de notre propre état, que nous ignorons. Nous pensons a priori que ce qui nous dégoûte est chez l’autre, nous allons nous en détourner facilement ou le mépriser. Cependant, si nous y regardions de plus près, nous verrions que nous ne voulons pas porter notre regard sur ce qui nous renvoie à nous-même. La faiblesse d’autrui est en réalité notre faiblesse et nous pensons qu’autrui ne voudrait pas de notre faiblesse, alors que c’est nous-même qui n’en voulons pas. S’inquiéter de soi à l’excès, jusqu’à en perdre le goût. Cela devient un oubli de soi, par manque de soin, d’écoute, d’introspective, nous ne savons plus bien ce que nous désirons ou ce que nous n’aimons pas. Le dégoût est alors une perte de goût, une insipidité, une disparition de sens, une fadeur.
Elles font écho à notre impuissance, à notre difficulté à réguler nos émotions et à valoriser l’image que nous avons de nous-même. Qui plus est, les émotions tristes sont plus nombreuses que les émotions joyeuses, donc engendrent une probabilité plus importante d’y être exposé. D’un point de vue général, toute émotion surcharge notre représentation du monde puisqu’elle impose un besoin ou un désir individuels à une perspective qui pourrait revendiquer d’être largement plus factuelle. Elle entraîne donc des biais dans notre compréhension du monde et de nous-même, comme le sentiment de se tromper, l’impression de décalage avec les autres, l’inconfort d’être soi, etc. Bien que parfois revendiquées comme éléments nécessaires au bien vivre, les émotions nous rappellent cependant l’imperfection de notre être, par leur dimension incontrôlable. Nous ne sommes pas comme un héros, un être parfait ou admirable, notre réalité peut facilement nous décevoir. L’excès de notre être, ayant « absorbé » le monde, nous donne des nausées et relève plus de la concupiscence que de la satisfaction d’un appétit. Cette disproportion touche à la jouissance de l’existence et peut nous plonger dans un état dépressif.
Bien que le dégoût nous permette de distinguer ce qui nous répugne, à façonner notre manière d’être, le rejet qui en découle nous piège et bloque l’accueil de l’altérité. Nous sommes alourdi par un vague sentiment de mal-être. Nous pourrions l’observer, l’analyser et nous en servir, aller et retourner dans notre rapport à notre émotion, tel que les vagues de la mer : nous approcher pour la sentir, nous éloigner pour la voir, l’aborder pour en apprendre de nouveaux aspects, nous en écarter pour les examiner. Attention, le roulis peut porter au cœur ! Puis, avoir le courage de regarder le monde tel qu’il est, pourrait bien être le pas suivant. D’ailleurs, pour lutter contre le mal de mer, un bon moyen est de regarder au large. Des personnes restent toute leur vie à se regarder et s’émouvoir sans cesse, s’enfermant dans un fonctionnement nauséeux, glissant infailliblement dans une sorte de claustrophobie. Tout devient insignifiant, plus rien n’a d’intérêt. L’absence de curiosité et de goût de l’aventure étouffent le cœur. La personne s’évertue dans les relations sociales, mais celles-ci sont grises et déprimantes. La nausée existentielle est bien là : aucune échappatoire possible, elle poursuit l’individu comme son ombre, elle en devient le cœur de son être.
La déception constante de la réalité a fait son œuvre. Il reste à transvaluer le rejet de soi en appétence spirituelle. Le dialogue intérieur comme exercice de la pensée ou sous tout autre forme viendrait satisfaire le cycle des antinomies. La dialectique du soi et de l’autre viendrait transcender notre rapport de soi à soi. Nous nous inscririons dans un processus de créativité, quel qu’il soit, pour transposer, formaliser, exorciser la nausée. Peut-être y découvririons-nous ce qui nous attire et nous donne de la joie…
La procrastination présenterait un lien avec le dégoût. Elle ne consisterait pas tant à remettre au lendemain ce qui doit être fait de manière purement factuelle, mais en un art de relativiser les choses et de ne pas vivre dans l’urgence, « à flux tendu ». De cette façon, la personne n’aurait pas à se confronter à elle-même, à subir de plein fouet la somme des obligations qui proviennent du déséquilibre intérieur/extérieur. Bien sûr, d’autres émotions ou traits de personnalités sont plus souvent cités comme étant les causes de la procrastination. Il y a l’anxiété, le perfectionnisme, la faible estime de soi, la confusion, la déconnexion de la réalité, la peur de l’avenir, des responsabilités, l’absurdité, la difficulté à réguler ses émotions, en particulier les négatives. Le dégoût ne semble pas être la plus évidente. Cependant, plusieurs de celles citées juste avant causent souvent cet affect. Bien faire les choses, prendre en charge son existence, jouir d’elle, se satisfaire de ce qui se présente est impossible car des valeurs personnelles ou une crainte de perdre son intégrité engagent la personne dans un système d’autoprotection. Les choses deviennent des dangers, ou prennent une dimension immorale, ou encore ne sont pas à la hauteur d’exigences souvent fortes. La personne est cependant partagée entre une perception de ce que nous pourrions appeler la normalité et une conscience de soi recroquevillée en elle-même.
En découvrant cette variété de degrés sensibles, nous pouvons comprendre que l’affaire est complexe et peut vite devenir un méli-mélo. Cela vaut-il vraiment le coup de tenter de spécifier chaque aspect ou plutôt d’adopter une philosophie de vie qui permette d’en éviter un maximum ? C’est un dilemme que chacun a plutôt facilement tranché : en général, c’est soit l’un, soit l’autre, selon les personnes. Ce qui ne veut pas dire que le vrai problème est réglé. C’est juste un choix qui s’est fait instinctivement. Ceux qui ont réussi à échapper aux secousses des affects n’y ont pas pour autant mis fin définitivement et peuvent se retrouver soudainement en proie à une crise. En face, ceux plus habitués au tumulte sensible n’y voient parfois plus la différence entre les phases calmes et les agitées. Voyons cependant comment peut se développer ce phénomène.
Le chaos émotionnel est une surcharge mentale liée à un problème non identifié, à un emballement du fonctionnement de la personne stressée. Il est accompagné d’un réflexe de contrôle des émotions qui aveugle d’autant plus, augmente la difficulté à comprendre ce qui se passe et jugule la réactivité. Ou alors, la personne peut se révéler paradoxalement violente, frustrée ou épuisée par son impuissance. Un terme est parfois utilisé pour ce phénomène, c’est le burn-out, le surmenage. Mais tapie dans l’ombre du chaos émotionnel, nous pouvons flairer la présence de la terreur. C’est une hypothèse a priori fantaisiste et dramatisante. Cependant, la terreur est le degré le plus fort de la peur, elle imprègne une atmosphère ou un esprit. Elle n’a pas d’objet, nous ne pouvons pas identifier ce qui la provoque. La terreur saisit à la gorge, et la réaction naturelle est de tournoyer sur soi-même les bras battant l’air dans tous les sens, luttant contre un ennemi invisible, sans conscience du risque de se blesser, ou d’estropier quiconque autour. La terreur saisit l’être, en devient le cœur et désorganise ses capacités de défense. Dans certains cas, le contrôle parvient à sauver les apparences en portant le masque de l’assurance, de la détermination. Mais une fois que la situation ne l’exige plus, des symptômes ne trompent pas, une extrême fatigue, des pleurs intempestifs, un relationnel aléatoire et une concentration défaillante. Il est possible d’être traumatisé par un souvenir, par une personne ou par sa propre vulnérabilité touchée au vif. Un nœud puissant se forme, tel le magma au centre de la terre, et cristallise la relation au monde dans un schéma de volcan prêt à entrer en éruption.
Premièrement, le terrible apparaît à l’extérieur, quand il échappe un « c’est terrible » au spectateur, une sorte de fatalisme langagier en dit long sur la compréhension que nous avons de la souffrance ou de la difficulté de quelqu’un. C’est inattendu, violent et imparable. Ensuite, le saisissement fait place à la pitié ou à la colère, au désir de rétablir la justice, voire de se venger chez la personne concernée, mais bien souvent l’énergie qui reste sert plutôt à recouvrer du choc, tant bien que mal. Cela suppose initialement un sentiment d’agression, de piège, de manipulation, de perte de repères ou de cadre. Nous nous révoltons ou nous fermons comme une huître, mais nous sentons que quelque chose de dramatique s’est produit et nous laissons l’événement marquer corps et esprit de façon durable, nous nous laissons toucher. Bien qu’une cause extérieure soit nécessaire pour le déclencher, ce sentiment est bien sûr d’origine interne, et est en décalage important avec l’événement : la personne devient particulièrement et douloureusement égocentrique. Si cela dure, cela pourrait consister en un quant-à-soi, de l’indifférence ou de la nonchalance. Ce qui est redoutable, c’est le non-dit, c’est l’explosion émotionnelle qui prend la main sur le système. L’aveuglement entraîne le déni et la déconnexion de soi-même. Pour regagner de la consistance, nous tentons de compartimenter le moi encore viable et le moi gangrené. C’est un mélange d’instinct de survie et de désespoir qui cause une impasse relationnelle, d’une part car autrui perd sa substance, un quelconque intérêt, d’autre part car l’explosion de violence fait fuir autrui, condamnant ainsi à errer dans le désert. L’altérité se sauve, emportant dans son sauve-qui-peut l’identité de l’être en proie aux démons. Jeté dans le monde sans pouvoir savoir qui il est, rien de plus terrible et paradoxal : comment pouvons-nous désormais désigner les choses, si nous ne pouvons pas commencer par nous-même ? Dans tous les cas, le regard de l’autre sur nous ne fait plus sens, l’ouverture au monde n’est plus possible. Aucun attrait, car pas de nom. Aucun sens. Pas de force, si ce n’est dans ce qui est puisé chez l’autre – quelquefois épuisé – dans une relation subie, puis fuie.
L’individu se retrouve face à une situation contradictoire, car bien qu’il résiste à autrui, il sait que sans l’autre, il ne peut exister. Il doit nier les jugements d’autrui sur sa personne, tout en ayant besoin de ces jugements pour se définir. C’est une lutte pour rejeter et prendre à la fois. Cependant, s’il nie tout ce qui n’est pas lui, il ne peut non plus être lui-même. Cette contradiction peut mener à une tragique disparition : dans la relation dialectique entre soi et autrui, le non-être ou l’invisibilité de l’être est sur le chemin de la réalisation de soi, dans la rencontre avec l’autre. Et rien n’est plus violent que la disparition de soi.
Et pourtant fort utile, telle la pieuvre qui s’enfuit en lâchant un nuage d’encre noire, pour se protéger. De quoi est-il question finalement, d’autoprotection ou de réalisation de soi ? Dans un premier temps, tout ce dramatique est là et inévitable, alors… acceptons la réalité ! La réalité de soi comme porteur de cet enfer. L’enfer, c’est peut-être les autres, car nous dépendons de leur jugement pour mieux nous connaître, mais c’est principalement nous qui en souffrons, qui créons cette douleur car nous avons des attentes. A l’inverse, le principe d’améliorer l’objectivité de la connaissance de soi en tenant compte de la vision d’autrui est indiscutable. Mais, dans un souci de préservation, nous ne pouvons pas uniquement nous en référer à autrui et il est vital d’être en mesure de le faire soi-même. Rien n’empêche de confronter les points de vue, ou d’alterner, ce qui requiert de toute façon un minimum d’esprit critique et d’autonomie. En l’occurrence, cette capacité de penser par soi-même ou de maintenir une distance perspicace dans son jugement, évoque indirectement la nécessité d’objectivité, par conséquent de l’altérité ou du sens commun… à croire que nous ne sommes jamais vraiment seul !
Soi. Encore et toujours. Un soi insignifiant, donc repoussant, qui mériterait d’être nié, évacué. Ainsi, nous pourrions considérer que ce qui doit se soustraire ne mérite pas de subsister. C’est l’idée de suicide, physique ou symbolique. En soi, gît sa propre disparition. Or, il y a quelque chose plutôt que rien. L’être est là, son essence, et les multiples formes d’existence. Nous pourrions nous laisser déterminer par cet état de fait et préserver la simplicité du monde en allant avec le vent qui nous pousse et en excellant dans notre essence. Nous pourrions apprécier l’idée que l’être est ce peu de chose, qu’il n’a pas besoin d’être plus, qu’il est ce petit quelque chose, en comparaison avec tout ce qu’offre l’univers, mais est l’essentiel. Et, en cela, calmerait radicalement le désir d’émotion, d’expression de soi, de faire exister son petit moi intérieur.
Nous ne réagissons pas tous d’égale manière face à l’effort, physique ou mental, à l’activité et aux tâches ou obligations à accomplir. Soit nous sommes rebutés, soit nous sommes mûs par celles-ci, de manière plus ou moins accentuée. Voire, le rapport est quelquefois paradoxal associant deux élans apparemment contradictoires, l’auto-imposition d’obligations et l’incapacité culpabilisante de les réaliser. En tout cas, nous pouvons observer notre rapport à l’effort sur les plans mental, psychologique et intellectuel. Le terme « mental » est le plus large des trois et fait référence à tout ce qui concerne la perception, des choses et de soi, et la conscience. Le terme « psychologique » se rapporte aux émotions et au comportement. Le mot « intellectuel » concerne essentiellement la réflexion, la résolution de problèmes et la prise de décisions.
Voyons comment fonctionnent la nonchalance, puis d’autres comportements semblables. Le mot « nonchalance » est d’origine française et signifie « insouciance » ou « indolence ». Il est formé à partir de la négation « non- » et de « chaloir », qui signifie « importer » ou « avoir de l’intérêt ». Celle-ci est un comportement caractérisé par une absence de soin, d’enthousiasme ou d’effort. Elle peut se manifester par un manque de motivation, de diligence ou de responsabilisation envers une tâche, une situation ou une relation. Le terme est utilisé de manière générale pour décrire un comportement insouciant ou désinvolte. La nonchalance peut être considérée comme un trait de personnalité ou comme une réaction temporaire à une situation donnée.
Elle est causée soit par un manque d’intérêt, soit par un manque de confiance en soi, soit par une baisse de motivation soit par l’absence d’objectifs clairs. Elle peut entraîner des conséquences négatives telles que des retards, des erreurs, des conflits, des opportunités et des résultats non réalisés. Elle peut également nuire aux relations personnelles et professionnelles en réduisant la confiance, le respect et l’engagement d’autrui, car elle est source d’insatisfaction et d’agacement. Et pour la personne elle-même, il en résulte un manque de consistance, de contentement, de la frustration et une quête confuse de positionnement.
Bien que la nonchalance puisse sembler être une attitude décontractée et détachée, elle est en réalité engendrée par un besoin de faire face au stress ou à l’anxiété. Dans certains cas, la nonchalance peut être une stratégie de défense ou une manière de gérer des émotions difficiles en évitant les situations stressantes ou en nous détachant de celles-ci. Nous pouvons donc facilement croire que nous sommes indifférent aux choses, et surtout celles qui devraient provoquer notre susceptibilité. D’une part, c’est la conséquence logique d’une auto-protection systématique, d’autre part, un moyen efficace de nous rassurer sur le fait que rien ne peut nous atteindre, sur notre capacité à faire fi de ce qui pourrait nous déstabiliser. Le déni ainsi développé compartimente la capacité d’analyse de soi et empêche de nous rendre compte que ce système n’est pas permanent car nous nous reposons parfois de cette tension intérieure, que nous le voulions ou non. Nous ne pouvons pas tout contrôler, ce qui fait que parfois nos angoisses s’activent à notre insu.
La nonchalance peut être identifiée dans des cas variés, parmi lesquels chacun pourra, ou pas, se reconnaître. Mais cette prédisposition prend en réalité des significations différentes car c’est un phénomène large de rapport aux choses.
L’exemple classique de la nonchalance est la personne qui est constamment en retard au rendez-vous, réunions ou événements importants. Elle ne semble pas avoir l’inquiétude des règles de ponctualité, de politesse et des principes de l’organisation. Cette personne pense qu’elle a le temps et se trouve toujours quelque chose à faire ou rechercher au dernier moment. Et elle opte facilement pour une pensée circonstancielle, qui utilise les circonstances afin de justifier son comportement. Celles-ci sont généralement réelles, mais leur lien avec le comportement est accidentel. Comme on dit, « il ne faut pas se voiler la face » : par exemple, un retard n’est pas dû au trafic, mais à une incapacité à se mobiliser pour une tâche à effectuer, une impuissance, une crainte de sortir de chez soi, d’exister, de se prendre en charge, une inquiétude concernant les dangers du monde.
D’autres cas de figure plus spécifiques sont les suivants : une personne qui n’accomplit pas ses tâches dans les délais impartis et qui ne semble pas prendre au sérieux ses responsabilités professionnelles. Une personne qui ne se préoccupe pas de sa santé ou de son bien-être, comme une personne qui ne prend pas soin de son corps en mangeant mal ou en ne faisant pas d’exercice régulièrement. Une personne qui ne prend pas soin de son apparence ou de son environnement, ou qui ne respecte pas les normes de propreté ou d’hygiène. Une personne qui ne se soucie pas des conséquences de ses actions sur les autres, comme une personne qui ne se préoccupe pas de l’impact de ses comportements sur l’environnement. Une personne qui ne semble pas s’intéresser aux événements actuels ou qui ne prend pas le temps de s’informer sur les sujets qui sont importants pour elle ou pour la société en général. Une personne qui ne prend pas le temps de planifier ou d’organiser ses activités, et qui se laisse plutôt porter par les événements et les circonstances. Une personne qui évite les conflits et les conversations difficiles, dans l’espoir improbable qu’ils vont se résoudre d’eux-mêmes avec le temps. Une personne qui ne prend pas le temps d’écouter attentivement les autres, ou qui ne montre pas d’empathie ou de compréhension pour les problèmes ou les préoccupations des autres. Une personne qui procrastine constamment et qui reporte les tâches importantes à plus tard, souvent jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour les accomplir correctement. Une personne qui ne respecte pas les règles, les normes sociales ou les lois, souvent parce qu’elle considère que ces règles ne s’appliquent pas à elle ou qu’elle peut s’en sortir sans les suivre. Une personne qui ne s’engage pas émotionnellement dans ses relations personnelles, ou qui ne montre pas de soutien ou d’affection envers les personnes importantes de sa vie.
La nonchalance se distingue de l’indolence qui, elle, est caractérisée par un comportement évitant les activités ou les tâches qui nécessitent de l’effort ou de l’énergie. Elle est souvent associée à une faiblesse physique ou mentale et peut être perçue comme une forme d’apathie ou de paresse. Contrairement à la nonchalance, qui peut être le résultat d’un manque d’intérêt ou d’engagement, l’indolence est souvent due à un manque de motivation ou à un sentiment d’impuissance face aux défis. Le mot « indolence » vient du latin « indolentia », qui signifie « absence de douleur ». À l’origine, le terme était utilisé pour décrire l’absence de douleur physique ou la capacité de supporter la douleur sans se plaindre. Au fil du temps, le terme a été étendu pour inclure le comportement des personnes qui évitent les activités ou les tâches engendrant de l’effort ou de l’inconfort. Aujourd’hui, le terme est souvent utilisé pour décrire un comportement passif qui peut résulter d’un manque de motivation ou d’un sentiment d’impuissance. Elle peut avoir des conséquences négatives sur la vie quotidienne d’une personne, car elle peut entraîner une baisse de la productivité, un manque d’accomplissement ou une diminution de la qualité de vie. Elle peut également affecter la santé mentale et physique en entraînant des sentiments de culpabilité, de frustration ou d’anxiété.
Plus largement, divers termes peuvent être utilisés pour décrire des comportements qui reflètent un manque d’engagement, de motivation ou d’implication, à l’image de la nonchalance et de l’indolence, tout en présentant quelques différences.
L’indifférence implique une absence d’intérêt ou de préoccupation pour quelque chose. Les personnes peuvent ne pas se soucier de ce qui se passe autour d’elles ou ne pas interagir promptement avec les événements ou les personnes qui les entourent. Elles sont épisodiquement accusées d’insensibilité ou d’égoïsme. C’est pourquoi elles vont avoir tendance à s’entourer de personnes indépendantes et dynamiques, qui n’ont pas le souci d’attendre quoi que ce soit des autres.
La procrastination désigne le fait de reporter une tâche ou une activité qui a un certain degré d’urgence, d’importance ou d’utilité. Bien que la cause puisse en être objective et pratique, auquel cas nous ne l’appellerons pas ainsi, mais plutôt planification, il s’agit souvent d’un manque de motivation, de discipline, d’un excès de stress, ou d’une difficulté à tenir ses engagements. La procrastination est un système lourd car elle génère un effet boule de neige, à tel point que très fréquemment les personnes en réclament l’arrêt par lassitude. C’est curieusement un des phénomènes les plus motivants au changement !
Le manque d’initiative est plus large et général. Il décrit une tendance passive à ne pas faire le premier pas, à ne pas exprimer d’opinion sans y être invité, ou à ne pas chercher activement à atteindre des objectifs ou des résultats. Bref, ces personnes attendent que les choses se passent, ou peuvent prétendre à une certaine forme de docilité. Dans de rares cas, nous pourrions considérer que ces personnes n’ont pas le souci de contrôle et n’hésitent pas à laisser faire afin de préserver leur énergie mentale et physique.
La passivité implique une attitude de retrait ou de résignation face à des situations, sans prendre de mesures actives pour y participer. Les personnes qui sont passives peuvent être réceptives aux changements, mais leur perception reste superficielle et elles ne cherchent pas à avoir une quelconque influence, voire elles semblent même traverser les événements sans en être touchées, un peu comme des ectoplasmes. La passivité ne doit pas se confondre avec l’impassibilité, dans laquelle la régulation émotionnelle ou la tranquillité impliquent la rationalisation.
Le désintérêt est une absence d’enthousiasme pour quelque chose. Les personnes ne trouvent pas de valeur dans une activité ou une tâche donnée, en particulier sur le plan de l’intellect. Ce qui laisse suspecter une difficulté plus ancrée à être curieux des choses, surtout à prêter attention à certaines plus qu’à d’autres. Nous pourrions rapprocher ce fonctionnement de la nolonté, qui est une manière de se définir uniquement à travers des non-choix ou des rejets.
La léthargie est une torpeur physique et mentale. La cause peut en être la fatigue, la maladie, un stress élevé ou l’ennui. Les personnes ont développé un épuisement caractérisé, une espèce de sommeil. C’est une façon de se protéger le plus souvent inconsciemment de paramètres angoissants. Une panique intérieure est latente et étouffée. Il y a une dimension pathologique qui indique la quasi impossibilité de se sortir d’un état, d’opérer un aller-retour intérieur-extérieur.
L’apathie est précisément une absence de sentiments ou d’émotions. Les personnes qui sont apathiques peuvent ne pas ressentir de motivation, de joie ou de tristesse, et peuvent sembler être désengagées de leur environnement. Nous pouvons facilement leur reprocher leur côté froid, même hostile. Ce sont souvent des personnes au fonctionnement analytique, à l’opposé de l’émotif. Elles sont donc maladroites en société et considèrent les émotions, les leurs autant que celles des autres, comme une faiblesse, éventuellement quelque chose de dégoûtant.
Certains diront que ce n’est pas une émotion : il s’adresse à l’intelligence et ne fonctionne que si l’objet est jugé risible. Or ce n’est possible que si un décalage se crée entre ce que nous attendons de l’objet ou de la situation dans laquelle une personne se trouve et ce qui arrive réellement. Ce décalage doit susciter la surprise. Une personne distraite va provoquer le rire en mettant le pied dans un trou, et pourtant, elle peut provoquer une émotion différente chez une autre, telle que de l’effroi ou de la pitié. Le principe même du comique consiste dans la rigidité du fonctionnement d’une personne par rapport à une situation, ne pouvant adapter son comportement de façon appropriée, ce qui la rend ridicule. A trop regarder le ciel, on en oublie les aspérités du sol.
Ainsi, nous pourrions faire référence au théâtre du 17ème siècle dans lequel les comiques de situation et de mots sont légion. Le comique ne l’est pas simplement ou purement, il l’est en opérant une rupture entre certains gestes libres, incontrôlés et la nature même de leur auteur, ou entre le sens usuel d’un mot et son autre signification assez différente, souvent plus spécifique. Et c’est par l’effet du comique que le spectateur finit par se glisser du côté du personnage éponyme qui manipule les autres personnages et qui déclenche des situations problématiques, en dépit de toute morale sociale, ou en réaction contre elle. C’est sur la dissonance également que se base l’image postérieure du comique du cinéma muet au visage si sérieux, voire un peu triste ou absent, et aux comportements maladroits ou catastrophiques qui mettent l’emphase sur son côté décalé. Cette forme d’inconscience du personnage fait d’un côté appel au manque d’empathie du spectateur, qui aime se moquer des difficultés et malheurs du personnage. Elle met en scène cette tendance humaine à rire de la faiblesse, de l’étrangeté, mûe par une rigidité liée à des dogmes sociaux, un mécanisme des habitudes, ou encore une certaine misanthropie, c’est-à-dire, une désillusion à propos de l’être humain. D’un autre côté, la sympathie s’instaure entre le personnage et le spectateur, qui s’y attache, développe des sentiments pour lui, ou s’y identifie, y voit ses propres espoirs secrets et désillusions sur la nature humaine. Nous pouvons aussi voir ce rapport de sympathie dans le fait que la comédie traite de choses générales de la vie, montre une certaine compréhension et défend des points de vue que le spectateur peut avoir assez naturellement. A tel point que certains noms sont restés dans l’usage courant, après avoir été des titres de pièces comiques. Certains phénomènes en sont devenus familiers, voire des archétypes. Contrairement à ceux de comédies dramatiques, où le personnage principal est seul, inimitable et ne se trouve pas dans des circonstances de manipulations, parodies ou autres jeux de scènes suscitant la bonne humeur. Le dramatique ramène donc l’observation à lui, à l’individuel, réduit les distances et la vision.
Et que vient combattre – même sans le dire – le rire, si ce n’est la vanité, penchant naturel et naturellement entretenu par les relations sociales qui admirent et flagornent le vaniteux, celui qui veut entendre de belles choses ? Peut-être que l’émotion est là, tapie dans un recoin, ne nécessitant qu’un rai de lumière pour s’animer. Le rire offre l’opportunité de se décontracter vis-à-vis de toute pensée, situation ou problème, dans un déchaînement physiologique de convulsions, de sonorités éclatantes et joyeuses, pour ce qui est du rire naturel et spontané. Il en existe un plus social, conventionnel, présentant un rythme régulier et contraint, ou encore un hystérique, aux tonalités discordantes et incontrôlées. Du rire aux larmes, ou à la colère, rire aux éclats ou choisir de ne pas s’émouvoir – il s’en faut de peu. En attestent les tentatives, parfois malheureuses, de certains comédiens contemporains en spectacle solo de comparer des caractéristiques de personnes handicapées à des parties d’animaux immangeables par exemple, qui ont d’ailleurs beaucoup amusé les concernés, mais provoqué la colère des associations qui les soutiennent. L’accès au rire est tout aussi subtil pour autrui que pour soi.
L’ennui est une sorte de douleur diffuse, une perte de goût, une lassitude, un manque d’intérêt. Nous ne faisons rien, nous sommes dans l’attente de quelque chose, ce qui nous empêche de vaquer à nos occupations coutumières, nous prive du sens que leur familiarité leur donne habituellement. Faisons une différence ici entre l’attente et le désir, qui est plus volontaire. C’est un moment calme et sans passion, une expérience similaire au néant, au vide, à l’impuissance. L’ennui est une émotion car ses manifestations intellectuelle – l’inattention – ou corporelle – l’endormissement -, des expressions typiques du visage, les yeux dans le vague, cherchant des points d’ancrage dans l’environnement. Un autre aspect qui fait de lui une émotion, c’est par définition le mouvement qui pousse l’individu à l’extérieur de lui-même. L’ennui paraît être essentiellement un phénomène psychologique. Mais il s’avère que le corps réagit assez rapidement face à l’absence de dynamisme et se met en branle d’une manière ou d’une autre. Nous avons besoin de bouger, tout le corps ou une partie, de changer d’activité, de sortir de cet état. Nous effectuons des tâches secondaires, peu attrayantes ordinairement, comme faire le ménage ou s’occuper avec frénésie des détails d’une chose. Mais nous évitons ainsi de nous pencher sur ce qui requiert une attention soutenue ou un effort trop intense, qui ne nous motive pas plus. Au mieux, l’excitation permet d’éviter l’ennui momentanément, au pire celui-ci ne doit pas durer.
L’expression « je ne m’ennuie jamais », ou celle-ci « je ne connais pas l’ennui », montrent que certaines personnes ne souffrent pas de l’ennui et leurs journées ne sont pas assez longues pour leur accorder de tout faire. Cependant, nous émettons le soupçon que ces occupations nombreuses et incessantes cachent l’ennui, comblent un vide, leur intensité serait proportionnelle à la force du refus de s’y confronter. L’ennui nous ramène à nous-même, l’absence d’activité nous fait cogiter, une pensée informe et décontenancée. C’est pourquoi nous n’apprécions généralement pas l’ennui. C’est une sorte de torpeur, à la limite de la dépression, s’il est récurrent. L’ennui a souvent été évité, peut-être encore plus maintenant qu’à certaines époques précédentes. Nous courons après les distractions, divertissements et obligations en tous genres.
Il peut être relié à l’idée d’acédie, une sorte de paresse mentale, une perte d’intérêt pour une pratique cérébrale ou spirituelle, un manque d’énergie pour s’y consacrer. L’acédie a été suffisamment problématique sur le plan existentiel et spirituel pour qu’on l’ait fait figurer dans la liste des péchés capitaux ; de nos jours, le terme n’est pas utilisé, mais nous en retrouvons le sens dans le mot « flemme ». Nous pourrions confondre facilement l’ennui avec la paresse puisqu’ils présentent les mêmes caractéristiques pratiques, à la différence près que l’ennui peut s’accompagner d’un questionnement, par sa nature mentale, plus ou moins frénétique, donc générant potentiellement de l’angoisse.
Nous pouvons néanmoins retrouver l’équivalent de l’acédie chez les écoliers. Cet aspect peut s’expliquer par exemple par l’excès d’informations environnantes, y compris sur internet et en particulier dans les jeux vidéo. Le jeune étant soumis à un rythme effréné d’assimilation et d’utilisation, qu’il ne supporte plus les temps de classe où les choses se passent plus calmement ou progressivement. En effet, la répétition de certaines tâches, de certains rituels ou de certains propos, comme des rappels de règles, la complexité de certaines connaissances et exercices peuvent générer l’ennui, voire l’endormissement. A tel point que cela peut creuser l’écart entre un monde enseignant qui tente de s’adapter et des élèves suspendus dans un monde plus ou moins parallèle. La démarche d’intéresser l’enfant à ce qui est enseigné est donc un art qui doit rester actuel. Ainsi, même si l’ennui du jeune est provoqué par un usage plus ou moins intensif d’images virtuelles, il reste que l’esprit a ses limites et qu’il est pertinent de les reconnaître afin d’alterner des activités cognitives et physiques ou de varier les types d’exercices d’une même matière. De cette façon, il est possible d’entraîner l’attention sur des durées variées.
Cette remarque sur les limites de l’esprit humain permet aussi de rechercher des stimuli pertinents qui organiseraient l’environnement cognitif. D’ailleurs, nous aurions tendance à faire appel aux émotions chez le jeune, afin de créer de l’excitation car il paraît que celles-ci aident à l’apprentissage. Le problème de cette théorie est qu’elle est trop facilement exploitée et maintient l’esprit du jeune dans cette excitation, par voie de conséquence augmente la proportion d’ennui et de sa crainte, et, à long terme, des angoisses. Il ressort qu’il est inévitable de se confronter à l’ennui, au minimum d’être apte à le supporter, pourquoi pas de l’apprécier. L’enseignant peut le faire, donner confiance à l’élève, mais encore faut-il être enclin à le pratiquer soi-même.
Or cette attente, que nous indiquions au début de l’explication, comme liée à un événement qui tarderait à venir, provient de nous-même en réalité, de notre propre dimension temporelle. Nous pourrions tenter une hypothèse sur notre rapport au temps : nous n’avons pas tous le même rapport au temps, éventuellement, nous pouvons en changer. Quoi qu’il en soit, nous pouvons identifier trois profils différents : ceux qui perçoivent le temps de façon linéaire, ceux qui le vivent de façon cyclique et ceux qui le lient plutôt aux circonstances vécues. Proposons que le temps linéaire est celui qui se relie davantage à l’ennui, car il passe sans moments ou changements particulièrement cruciaux, à la différence du cyclique ou du relatif. Elle nous rappelle à nous-même, à la réflexion, à une forme d’introspection. Il en découle une dimension libératrice : en découvrant le vide, nous expérimentons le détachement vis-à-vis des choses, de notre essence, entre autres temporelle, nous nous découvrons à nous-même. De ce fait, notre espace mental étant inoccupé, il est plus en mesure d’accueillir l’extérieur. Notre attention peut se porter sur ce qui nous est familier, nous pouvons le questionner, nous remarquons des mouvements, des changements, qui nous permettent de comprendre la nature des choses. Ainsi, nous pourrions apprécier l’ennui, comme le moment approprié pour nous sortir de nous-même et aller à la découverte. Profiter de notre incertitude, d’une légère apesanteur, ou d’une absence de goût pour rien de particulier pour nous adonner à la béatitude, la contemplation de diverses choses et personnes alentour. Généralement, nous sommes calme et détendu, plus à même de vivre des surprises. Le jeu entre l’absence d’activité et la langueur permet de faire le lien entre l’esprit et le corps et de parvenir à une certaine unité. Dans cette forme de satisfaction de soi, s’il en est, il suffit de laisser venir à soi le monde. Comment cela se fait-il ? Dans le processus de la reconnaissance, nous recherchons le familier. C’est une manière de nous prouver notre propre existence, pour vérifier si ce que nous pensons que nous sommes est la même chose que ce qu’évoque autrui. Dans l’ennui, nous nous trouvons face à nous-même, presque impossible à voir d’habitude. Comme la pensée est généralement actionnée par les contrastes, les contradictions, ou même les indécisions, l’autre, l’inconnu, le nouveau, trouve là sa place dans ce qui pose question, comme un bâton de mesure. De cette façon, l’ennui fait du lien et ne nous bloque pas en nous.
Dans le refus de l’ennui, ce qui est régulièrement le cas, nous nous maintenons dans une frénésie corporelle et intellectuelle peu fructueuse, qui épuise les ressources de notre personne. De là, nous pourrions entrevoir une similitude avec le dégoût : l’ennui survient souvent lorsqu’il y a un vide d’engagement, lorsque l’esprit ou le corps ne trouve pas de stimulation adéquate. De même, le dégoût est une réaction de rejet ou de mise à distance lors d’une expérience repoussante ou inadmissible. Le dégoût est déclenché par une présence, par exemple, la nourriture moisie, et il est actif, tandis que l’ennui résulte d’une absence – d’activité, et il est passif. Autre aspect important, tant l’ennui que le dégoût peuvent être des moteurs de changement. L’ennui incite à la recherche de nouvelles expériences. De même, le dégoût peut être un catalyseur puissant pour éviter certaines situations, comportements ou environnements, pour chercher des alternatives plus agréables ou acceptables. Leur différence résidera dans l’aspect culturel du dégoût et individuel de l’ennui. L’ennui et le dégoût ont également une forte dimension introspective. Ils nous forcent à nous interroger sur nos préférences, nos valeurs et ce que nous trouvons significatif ou acceptable. Cette introspection peut conduire à une meilleure compréhension de soi et à des choix de vie plus alignés sur nos véritables intérêts et valeurs.
Dans le quotidien monotone, l’ennui et le dégoût se présentent, non pas comme des invités de marque, mais plutôt comme des rappels inconfortables de nos limites et désirs inexplorés. L’ennui, avec son calme persistant, nous invite subtilement à chercher au-delà de notre routine, à explorer de nouvelles perspectives où de véritables intérêts peuvent prendre racine. Le dégoût, bien que désagréable, dessine des contours nets autour de ce que nous acceptons ou rejetons, nous orientant dans nos choix, vers une plus grande authenticité. Ce sont des signaux discrets, des indicateurs qui, lorsque nous les écoutons, peuvent nous conduire à une meilleure connaissance de soi et à des décisions plus en phase avec nos valeurs personnelles.
Envisageons une sorte de durée, c’est-à-dire une continuité dans la conscience qui est possible si nous ne lui imposons pas l’effet morcelant du langage, tel les étiquettes des produits vendus en grande surface. Cette durée est la liberté de chacun. Elle serait un processus fondamentalement sans interruption qui fasse le lien entre le passé, le présent et le futur, des domaines du temps a priori détachés, mais qui se mêlent l’un à l’autre constamment. Il est facile de comprendre que parfois nous expérimentons cette sensation de déjà-vu, où que nous obtenons quelque chose que nous avons longtemps désiré. C’est ainsi que notre devenir peut se réaliser, en tant que chose possible et surprenante, et parfois prévisible. C’est en cela que l’émotion, comme lien entre les domaines du temps, assure la créativité. Prenons l’exemple d’un artiste qui crée une œuvre en s’inspirant de l’expérience personnelle, de façon consciente ou pas. L’émotion liée à cette expérience devient un catalyseur du processus créatif. L’émotion nous permet de nous transposer d’un plan à un autre et de nous libérer d’une immédiateté ou de circonstances extérieures. Tout autant qu’elle permet à l’individu de définir sa personnalité indépendamment de l’environnement social. Tel l’entrepreneur, qui ressent de la frustration face à une situation difficile, une baisse de chiffre d’affaires par exemple. La frustration deviendrait alors une source de motivation intense, menant à une innovation ou à une nouvelle approche du problème. Ou bien, nous pouvons imaginer un scientifique qui est excité par une découverte, son imagination se met alors au service de sa raison et ouvre des voies originales. Il parvient à poser des hypothèses audacieuses ou à explorer des domaines inédits.
Non, dans la mesure où l’émotion est d’ordre subjectif. Dans l’instant, elle amène l’individu à se centrer sur lui-même ou à utiliser les données immédiatement accessibles. Ces données peuvent être externes, provenant de l’environnement, ou être internes, issues du fonctionnement personnel. De plus, le phénomène est trop soudain et trop éphémère pour pouvoir être identifié. Son éruption rend difficile l’acte de poser un jugement sur l’émotion, sur sa cause et de vérifier si notre comportement est adéquat à une situation. L’émotion est un état qui se vit physiologiquement et sur lequel on ne met pas de mots. C’est un phénomène indicible et mystérieux, et la moindre tentative de formulation montre une conscience réduite, occasionnant une expérience assimilable au néant, même dans le cas des émotions positives. La personne émue absolutise la dimension sensible et affective et ne tente pas de la rationaliser. Pour dire les choses clairement et simplement, l’émotion rend idiot.
Nous pourrions ajouter que les gens tiennent à l’intégrité de leur personne, qui est une condition sine qua none dans leur relation à autrui. Elle consiste dans un désir de totalité et se révèle dans l’expression des émotions. Cette intégrité n’est possible que si les émotions sont reçues sans « jugement », de bien ou mal. Le fait même de les nommer est déjà une forme d’atteinte au sacré. C’est un accueil « silencieux » qui devrait en être fait. Ce qui explique une résistance à se mettre en relation avec autrui, à s’ouvrir à lui et au changement que cette ouverture pourrait provoquer. Cette forte méfiance ressemble à un instinct de survie, car il est question de ne pas laisser autrui avoir raison de soi, d’avoir la moindre emprise ou de s’engouffrer dans la plus petite brèche de notre être. L’alternative est claire : soit autrui nous comprend, signe d’acceptation, et nous inviterait implicitement à nous mettre en relation avec lui, soit autrui est imperméable à notre émotion, et par voie de conséquence, laisserait supposer une fin de non recevoir.
Par ailleurs, le système émotif repose sur l’expérience personnelle dans laquelle il sélectionne une information, correspondant à un impact assez fort ou à une récurrence exceptionnellement élevée : j’ai vécu telle chose, qui m’a marqué ou s’est produite un certain nombre de fois, que je compare avec la situation en cours pour obtenir des points communs, et de ce fait, la réaction à avoir. La démarche est biaisée mais conditionne malgré tout la vision que la personne aura de ce qu’elle est en train de faire. Ainsi, le jugement ne requiert pas d’analyse poussée, c’est plutôt un calcul approximatif de probabilités, c’est arriver à supposer la nature d’une situation par similitude avec des précédentes. Le fait de ne pas analyser les causes véritables ou la connexion de la personne à l’expérience en cours, induit une rapidité de jugement, qui est appelée « intuition ». Elle permet paradoxalement de prendre des décisions selon certains points de repère, tout en ayant une position apparemment sûre. Mais l’intuition est une compréhension vague d’un phénomène, elle est préréflexive, elle se limite à ce que nous percevons, à ce que nous pouvons décrire de la manifestation ou de notre rapport à elle. L’intuition n’accède pas au mode réflexif tant qu’elle n’est pas nommée, conceptualisée, donc déterminée et claire.
Dans certains cas, nous n’utilisons même pas cette intuition. Dans notre gestion du temps, les émotions sont invasives sans que nous nous en rendions compte. Il est commun de nos jours d’entendre « je n’ai pas le temps ». Les gens ont l’impression d’être sans cesse à la course, de ne rien contrôler, de devoir faire face à des obligations nombreuses et variées, le travail, divers rendez-vous, les enfants, etc. Or, il nous est apparu que le manque de temps n’était pas vraiment en cause. Après quelques questions, nous avons découvert que c’est de l’ordre du sentiment, dans sa dimension passive, tournée vers soi et complaisante, avant d’être un fait. D’ailleurs, il n’est pas dit que le temps serait occupé à d’autres activités, en particulier celles qui visent le bien de soi. La raison pourrait pourtant être qu’en ayant beaucoup de tâches à accomplir, il ne nous est pas possible matériellement d’en faire plus. Cependant, en regardant de plus près ces tâches, nous nous apercevrions de l’inanité ou de l’absence d’urgence de certaines. Nous avons une « relation terrible » à la société qui nous « oblige à faire », qui nous aliène : par exemple, avoir besoin d’une voiture exige de travailler pour gagner de l’argent en vue de l’acheter. Cette voiture est utile pour aller plus vite, pour rester plus longtemps au travail, ce qui fait gagner plus d’argent. A priori, notre système perd toute cohérence lorsque nous désirons dégager du temps pour une autre activité, pour profiter de cet avantage nouvellement acquis. Or, il s’avère que ce désir de jouir de cette voiture s’impose comme une obligation, un désir de justification de son utilité et de sa légitimité face à l’effort fourni pour l’obtenir. C’est, comme on dit, « la folie ». Nous perdons notre liberté d’action et de choix, ou, éventuellement, le sentiment d’en avoir bénéficié dans le passé. nous pouvons certes accéder au bonheur, joie durable, grâce à l’alternance entre le travail et le repos, car cette alternance instaure un rythme de vie satisfaisant et rassurant. Mais ce bonheur est éphémère et trop peu satisfaisant car l’individu est encouragé, par son pouvoir d’achat, à toujours posséder plus, mieux ou différent. Les temps de loisirs sont à la fois des obligations sociales et le grain de sable qui vient inquiéter le cycle travail/repos.
Chose que nous pourrions comparer avec celui qui se donne la chance ou le luxe du temps libre, de la disponibilité, qui s’accorde par là même du temps pour penser l’existence. Ceux pris dans le cercle du travail et des loisirs échappent à la démarche introspective. La survie sociale n’octroie pas le temps de se poser de questions. Les contraintes de la vie en sont devenues chimériques et éloignent d’autant plus des problématiques fondamentales.
Voyons maintenant comment il est possible de parler clairement des émotions. Elles peuvent être définies et nommées par des mots, elles présentent des signes physiques et corporels qui permettent de les comprendre et de les distinguer les unes des autres. Le soi qui se recentre est en capacité de s’analyser, d’observer ses propres émotions. Elles ont une dimension universelle. Tout le monde les ressent, ce qui permet de les reconnaître et d’y donner du sens. C’est l’objet de cet ouvrage d’en présenter les catégories, leurs dimensions physiques et mentales, et de décrire des paradigmes qui leur sont inhérents.
Pour poursuivre un instant sur la plainte du manque de temps, ce qui est mis en balance, c’est le « je », un contrepoids de taille, et pourtant si fragile : « je » n’ai pas le temps. C’est la confidence implicite d’un être habité de désirs, et l’aveu d’une impuissance. C’est la déclaration d’une autonomie prise dans les filets d’un conditionnement. Ce sont des horizons lointains et enchanteurs brouillés par l’utilitarisme. C’est la goutte d’immédiateté qui fait déborder le vase de l’insatiabilité. Plus nous sommes près du but, plus nous sommes stressés, dans l’urgence. Plus nous obtenons l’objet désiré rapidement, plus la dépendance est forte et envahissante. Or nous pouvons gérer notre temps, en abstraction du monde et de ses obligations, si nous osons nous accorder une certaine liberté d’action et limiter les contraintes extérieures. Lorsque l’objet convoité est plutôt éloigné, son acquisition ou sa réalisation nécessite plusieurs étapes, nous apprenons alors la constance. La constance implique une forme de routine, un geste régulier qui nous fait progresser tranquillement et nous maintient vers le cap choisi. Nous avons ainsi une motivation plutôt interne, nous subissons d’autant moins l’influence de l’environnement. Notre rapport à nos activités est régulé, en particulier émotionnellement. Car les émotions seraient généralement des réactions aux stimuli du monde extérieur. Mais encore faut-il accepter de se plier à la régulation de cette routine ou « d’agenda personnel ». Paradoxalement, le principe en est de se recentrer sur soi, se connaître, identifier ses désirs et ses capacités, afin de créer de la cohérence dans le fonctionnement individuel et de lui donner de la substance.
L’individu peut se placer sur un plan objectif, sur lequel la flexibilité et le raisonnement logique lui offrent une pensée posée qui facilite le recul et le tri des informations. Prendre de la distance avec soi-même permet d’être constant dans ses relations sociales, car cela relève d’une compréhension du fonctionnement de la société comme indépendant du dysfonctionnement individuel. Le tri des informations lui permet de hiérarchiser l’urgence, l’importance et la récurrence. Un usage de la raison serait par exemple d’être poli, quels que soient nos états d’âme. Prendre sur soi serait un acte de recentrement, qui permettrait de s’intéresser à autrui, même si c’est de manière plutôt superficielle et presque dépersonnalisée. La relation sociale repose néanmoins sur l’acceptation mutuelle qui nécessite de ne pas trop s’écouter soi-même et de tenir compte de l’existence d’autrui, d’être présent à lui. Cette perspective dépasserait le niveau de la politesse en tant que rituel ou mécanique interrelationnelle, et poserait déjà les bases du dialogue.
Pour conclure, la dimension subjective est à la fois une conscience – de soi et d’autrui -, dans le sens d’une capacité à valider des informations, et l’expression d’un fonctionnement individuel, à adresser un message à autrui, tandis que la part objective est la capacité, donnée par la raison, de se décentrer, de donner sens à la représentation du monde faite par soi ou l’interlocuteur. Subjectif et objectif restent cependant deux plans qui rivalisent et ne sont pas faciles à distinguer ou à choisir. Il arrive ainsi que se prononce, par les mots ou l’attitude, le fatidique reproche « tu ne peux pas comprendre ». L’indicible nous guette à chaque rencontre, phénomène inévitable de la mise en rapport avec l’autre et problème nécessaire pour l’éveil de la pensée. Il nous reste à décider si nous sommes prêt à accepter de ne pas comprendre l’autre, ou encore de ne pas être compris. Mais en même temps, à réhabiliter la parole comme un pont vers l’autre et non plus comme une toile de fond d’une réalité fantasmée, et à utiliser le problème de la rencontre comme source de questionnement. Mais pourquoi cet indicible marque notre esprit du sceau des émotions ? Si nous ne pouvons pas comprendre, c’est peut-être que c’est trop subtil à exprimer, c’est peut-être que la valeur accordée au phénomène donne une profondeur qui génère le désir d’être précis dans l’expression, à tel point qu’il décourage la moindre tentative d’explication. L’indicible invite alors à la résignation, ce qui peut en faire un drame. L’émotion est à la frontière entre Narcisse qui s’admire dans la rivière, et Écho dont les appels reviennent à elle, dans leur propre réverbération. Si chaque émotion était l’écho d’elle-même : la peur de la peur, la honte de vouloir se cacher, la colère contre le soi incontrôlé, la joie de se voir satisfait, l’étonnement d’être surpris, etc., si l’émotion était dans le reflet de sa propre image… Un monde tourné sur lui-même, dans l’impuissance de se détourner vers autrui, vers l’extérieur. Alors la puissance générée par l’émotion serait vaine. Mais nous serions tenté de défendre cette émotion et de la voir porter en elle une certaine connaissance de soi, ou au moins, l’impulsion d’un questionnement. Reste à savoir si cet écho est comme une simple recherche de légitimation de l’émotion par elle-même, ou alors si c’est son étymologie du mouvement vers le dehors qui exprime son étrangement hors d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle serait le passage entre une représentation d’origine sensitive et la potentialité d’une prise de conscience…